Prologue

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Je m'installe sur la chaise en face du gars aux yeux bleus. Le même qui triture la serviette « 100% coton » du restaurant chic dans lequel il m'a donné rendez-vous. Le Grand Salon est la crème de la crème des gastro de la ville et ce type en face de moi à les moyens de se l'offrir plusieurs fois par mois car «  rien n'est trop beau pour ma donzelle ». Surtout que c'est ici qu'il lui refile tous ses rendez-vous, à l'autre bout de la ville. C'est un endroit discret dans lequel les paravents offrent une parfaite intimité. Et quand on connaît mieux l'énergumène, on comprend pourquoi il aime venir ici avec elle. Mais j'avoue que les plats qui me frôlent me donnent l'eau à la bouche.

Je ne peux pas manger un bout et prétendre être elle plus longtemps, juste pour profiter et goûter ? Il paiera de toute manière ...

Je jette un coup d'œil à la table voisine. Les ingrédients, disposés avec élégance dans les assiettes donnent clairement envie de les prendre en photo, de les poster sur instagram et de les admirer des heures durant sans jamais oser planter sa fourchette dedans, de peur de détruire ce chef d'œuvre culinaire.

Le blond me remarque, relève son visage, un sourire malicieux sur ses lèvres fines et avance sa main en direction de la mienne pour caresser ma peau de son pouce ; une délicate attention, certes, mais je ne suis pas là pour lui faire plaisir. Bien au contraire.

Jérôme, à défaut de piquer dans la côte de bœuf de la voisine, je vais enfoncer ma fourchette en plein dans ton petit cœur de connard et nourrir les loups de la forêt voisine avec tes lambeaux.

Il me faut un doggy bag pour le transport.

Il sirote calmement son vin rouge puis hèle un serveur pour qu'il vienne prendre notre commande.

— Comme d'habitude ?

J'ai envie de dire oui, de tout dévorer et de lécher salement mon assiette avant de faire ce pourquoi je suis ici, mais impossible. Sa gueule de con gâcherait tout mon plaisir.

L'homme au tablier blanc immaculé, arrive puis nous salut amicalement – Jérôme est un habitué.

— Un Tournedos et...

Je stoppe l'abruti en levant ma main.

— Ça ne sera pas nécessaire, je ne reste pas.

Adieu, mademoiselle entrecôte, je ne vous oublierai jamais !

Les deux hommes me dévisagent, mais c'est le blondinet, au costume parfaitement repassé, qui prend la parole.

— Comment ça tu « n'reste pas » Lucy ?

Lucy.

Ce n'est pas moi, mais ça, il ne le sait pas et c'est ce qui rend la chose amusante et grisante. Aujourd'hui, j'ai pris l'identité de ma jumelle pour le remettre à sa place. Et dire qu'elle est complètement éprise de ce crétin au point de ne pas oser lui régler son compte en public. Elle craint de retomber dans ses griffes et de se faire berner par ses boniments. Moi, ce type-là, je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam donc, c'est plus simple ; aucune attache, aucune affection, juste de la haine. Pour moi, c'est simplement un obsédé qui a douze ans de plus qu'elle, une bagnole tape-à-l'œil et les poches pleines.

Il ne la mérite pas.

— Jules, soufflé-je en articulant à peine.

— Jérôme, me corrige-t-il, sèchement, irrité par mon erreur.

Erreur totalement intentionnelle de ma part qui a l'effet escompté.

— Ah ouais, putain. C'est ce qui arrive quand tu te tapes plusieurs mecs en même temps, ricané-je. Enfin, tu sais ce que c'est, pas vrai ?

Choqué, il écarquille grand ses yeux – Non mais ma sœur lui a trouvé quoi à ce hibou déplumé ? – tousse bruyamment, s'étouffe avec sa gorgée de vin.

Bien, ma blague lui reste en travers de la gorge.

Il reprend contenance, réajuste sa cravate – Tocard ! – et son visage change, s'adoucit. Le mec comprend que je sais quelque chose et qu'il se trouve en très mauvaise posture.

— Bébé, je ne sais pas de quoi tu parles.
Note pour plus tard : Dire à Lucy que ce surnom c'est pas possible, même inacceptable en vrai !

— Je parle de ta femme au gros nibard, espèce de gros nigaud. Rebecca c'est ça ?

— Attends, tu te méprends, Lucy.

Il va me dire qu'il ne l'aime plus, qu'il ne se passe plus rien entre sa femme et lui. Je suis sûr que c'est un pro du pipo !

— Nous sommes en instance de divorce et on fait chambre à part...

Pour des prédictions de médium, veuillez me contacter au 3636.

— Si ce n'était que ça, mon cœur, répliqué-je à mon tour.

Déjà, le gars n'est même pas capable de faire la différence entre sa meuf et moi, ensuite, putain mais il arrête de fixer mon décolleté comme ça ? Je vais lui décrocher une droite !

Je me lève agacée, me penche vers lui et lui fais signe de s'approcher, comme si je m'apprêtais à lui révéler le secret du meilleur cookie au chocolat du monde. Il s'exécute, sans se douter qu'il est sur le point de découvrir qu'en réalité, les cookies sont bien plus épicés que prévu.
J'attrape le col de sa chemise avec brutalité. Il pâlit.

— Ne me prends pas pour une idiote, Jérôme. J'ai fouiné, j'ai trouvé des preuves, j'ai fais des photos de toi avec tes conquêtes et je me ferai un plaisir de tout balancer à ta femme si tu oses encore une fois m'adresser la parole, bébé.

Je lâche ma prise, m'empare de son verre de vin et le vide cul sec. Rien de tel qu'un bon vin pour savourer une vengeance bien méritée. Je récupère mon sac et disparaît dans la nuit, laissant derrière moi ce pauvre type en sueur. Direction la maison, dans laquelle m'attend sagement ma sœur.

Et je crois qu'on va sérieusement revoir le style de mec avec qui elle doit sortir parce que non, Jérôme n'est clairement pas sur le podium. 

Nightmare IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant