Chapitre 12

676 120 109
                                    

James.

J'ai eu besoin de fuir et surtout très rapidement.

Impossible de comprendre ce qui m'a pris de dire ça. Comme si j'avais besoin de cette affirmation, de la voir accepter ce qui s'était déroulé une semaine plus tôt. Les questions fusent dans ma tête. Est-ce qu'elle regrette ? À en juger par la manière dont elle dansait avec Mike, l'un de nos vigiles, il semblerait qu'elle essaie de me faire comprendre que c'est du passé, que notre petit moment intime ne devra jamais se reproduire. Et elle a raison, c'est évident. Mais...

De la purée de carottes s'écrase sur ma joue. Harper a pressé ses petites mains dans le mélange orange et applaudit avec enthousiasme ne manquant pas d'en foutre de partout.

— ... et c'est pour ça que tu dois t'y rendre avec la petite.

— Hum ?

Je saisis la serviette que ma mère me tend, essuie mon visage en grimaçant.

— Maman, tu sais que c'est compliqué de faire des déplacements avec la petite. C'est certes un gros contrat mais quatre jours c'est bien trop, que ce soit avec ou sans Harper.

Ma mère pose une main sur la mienne, l'air déterminé.

— Arrête, James. On ne peut pas se permettre de laisser passer cette opportunité. Tu te rends compte de tout ce qui va en découler ? Et puis, tu n'as qu'à faire une offre généreuse à la nounou pour qu'elle vienne avec vous, c'est tout.

Je souffle. L'idée de ma mère est intéressante, parce que je pourrais voir Harper – je refuse de faire des déplacements trop longs sans ma fille.

— Je vais réfléchir.

— Sage decision, James.

Ma mère embrasse sa petite fille, lui offre une dernière caresse sur sa chevelure blonde et bouclée puis, s'en va.

— Ne reste que nous deux ma citrouille ! dis-je à ma fille et souriant.

***

Le début de semaine a filé à toute vitesse. Lucy semble exténuée, mais je garde l'espoir qu'elle tiendra le coup. J'ai vraiment besoin d'elle. J'ai essayé d'expliquer à Harper que ce n'était que pour un peu plus de deux mois, et qu'ensuite, elle me verrait plus souvent. J'ai ajouté qu'elle devait être gentille avec Lucy. Surtout que celle-ci lui apprend quelques mots en français – malheureusement je n'en comprends pas bien le sens – mais je suis ravie d'entendre la belle langue de Molière, sortir de la bouche de ma fille.

Attention à mon accent, mais les mots ressemblent à ça : « C'est de za merze » ou encore « Za me gonfze ! ».

Je n'ai d'ailleurs pas croisé la nanny d'Harper depuis samedi dernier, c'est comme si elle m'évitait comme la peste – ou qu'elle est trop fatiguée pour tenir après vingt et une heures. Du coup, lorsque j'entre embrasser ma belle blonde pour lui souhaiter une bonne nuit, j'éteint le babyphone de la nounou. Je n'oublie pas de le rallumer lorsque je me lève vers six heures trente pour qu'elle puisse prendre la relève à mon départ.

J'ai par contre eu la jeune femme au téléphone pour lui faire part de ma proposition : nous accompagner en Cornouailles, là où je dois rencontrer le producteur d'une grande émission de télé anglaise. Elle a négocié : négociation que j'ai accepté et qui l'a surprise. Elle ne réalise pas à quel point j'ai réellement besoin d'elle pendant ces quatre jours.

Et à plusieurs reprises, je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un œil à la caméra. D'ailleurs, je dois rappeler à Lucy qu'elle doit attacher ses cheveux et ne pas porter de robe ou de jupes. Je peux comprendre qu'elle soit plus à l'aise comme ça mais bon sang, quand elle se met à quatre pattes pour jouer avec Harper, je peux presque tout apercevoir, y compris la dentelle qui tente de dissimuler son joli fessier. Cette image affole mon corps comme ce n'est pas permis. Et impossible de ne pas regarder la caméra car je ne peux pas m'empêcher de vouloir voir ma fille dès que j'ai une petite pause dans mon travail. Cette gamine est mon remède, ma dose de vitamine...

Je plie délicatement mes chemises et mes pantalons, les range soigneusement au-dessus des affaires de ma fille, et boucle le tout, prêt à partir. Les valises prêtes, je les fais rouler dans le couloir, puis jette un rapide coup d'œil à Lucy en train de jouer avec ma fille dans le salon. Elle est à genoux devant la table basse, acceptant joyeusement une tasse de café factice, concoctée par Harper dans sa dinette. La petite blondinette prend une cuillère, la trempe dans le liquide invisible et implore sa nounou d'ouvrir la bouche. Lucy joue le jeu, accepte d'entrer dans l'imaginaire de la prunelle de mes yeux. J'aime cette vision, celle d'Harper, joyeuse et heureuse d'avoir quelqu'un avec qui elle peut s'amuser car malheureusement, Céleste et moi-même étions tous les deux des enfants uniques. Harper n'a donc pas de cousins ni d'oncle et de tante avec qui elle puisse passer du temps. Tout sera différent quand elle rentrera à l'école.

Je suis sortie de mes rêveries par le klaxon de mon chauffeur, Karl, qui me prévient de son arrivée. Je fais un signe à Lucy, lui demande d'aller chercher ses affaires car il est temps pour nous de prendre la route.

Je monte dans la Roll-Royce, touche les boutons pour trouver la position adéquate pour le voyage.

— Tâchez de vous reposer pendant le voyage, Lucy. Vous allez avoir besoin d'énergie pour ces quatre jours, car même s'ils vous paraîtront plus facile, n'oubliez pas que vous bossez ce weekend.

La brunette, à l'avant du véhicule, se retourne, hoche la tête, puis fixe à nouveau la route qui défile devant nos yeux. Harper sort un ou deux livres qu'elle me réclame de lire alors que je voulais travailler un peu. Elle me fait ses grands yeux doux, ce qui fait rire la nounou et je m'exécute – aucune autorité – démarre la lecture pour elles ( oui, Lucy aussi a réclamé la lecture de « Petit ours brun en balade dans la forêt  », en soutien à Harper).

— Mettez-y le ton, monsieur Greyson. Une lecture, c'est comme une pièce de théâtre, ose-t-elle dire en ricanant.

— Papa, fait Grooown !!!

Grooown veut dire pour Harper : grogner comme un ours.

Jamais. De. La. Vie !

— Vous ne pouvez pas refuser de faire plaisir à votre fille, monsieur.

Lucy explose de rire face à mon air ahuri. Elle veut jouer ? Bien.

— Très bien.

Le grognement animal résonne dans tout l'habitacle. Harper tape dans ses mains, heureuse.

— D'ailleurs, Lucy, repris-je. Je vous ai déjà vu à l'œuvre également et vous êtes très douée dans l'imitation du chat aux griffes acérées mais aussi dans le rôle de la tigresse ...

Elle s'empourpre immédiatement et jette un regard inquiet vers Karl. Lorsqu'elle s'aperçoit qu'il ne bouge pas et qu'il ne semble pas avoir compris mon allusion, elle sourit l'air gênée.

— Ouais, je suis douée, merci.

— Dans pas mal de domaines d'ailleurs, miss Bellerose, rajouté-je avant de débuter la lecture du livre de ma fille. 

 

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Nightmare IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant