Cinq.

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James

Mon portable vibre, perturbant la réunion du jour. J'accorde rapidement un regard au message qui s'affiche : ma mère. Elle m'annonce l'arrivée de la nouvelle nourrice d'Harper, une candidate qui a été minutieusement sélectionnée – je ne confie pas ma fille a n'importe qui.

Les dernières ont quitté le navire : elles suivaient certes, scrupuleusement nos consignes, nos demandes, et se pliaient à mes exigences, mais aucune d'entre elles ne possédait ce « je ne sais quoi ». Elles semblaient dépourvues de motivation et d'ardeur. J'ai l'impression que le professionnalisme se fait de plus en plus rare, que les employés aspirent à des rémunérations toujours plus élevées sans fournir un réel effort au travail. D'un côté, on peut les comprendre, mais de l'autre, ils favorisent la croissance des herbes folles dans la paume de leur main. Pendant ce temps, je m'acharne pour maintenir le parc à flot, pour l'empêcher de sombrer. Je n'ai donc pas le temps, ni l'envie de passer deux cents entretiens par semaine pour trouver la bonne personne qui saura s'occuper de ma fille. J'ai donc confié cette mission à une agence de recrutement et d'après eux, ils ont trouvé la perle rare.

Lucy Bellerose, 23 ans, française – un atout dont j'espère qu'elle saura faire usage pour enseigner un peu la langue à Harper. Elle est hautement qualifiée dans ce domaine, détenant même une certification en premiers secours. Elle a également suivi plusieurs formations en psychologie du développement de l'enfant. Elle a déjà exercé son métier auprès de familles fortunées en France et, d'après les retours que j'ai reçus de ses employeurs et la journée test qu'elle a passé avec Harper sous les yeux attentifs de ma mère, elle excelle dans ce qu'elle fait.

Après notre déjeuner, je me suis installé dans mon bureau, allumé mon ordinateur et jeté un coup d'œil rapide à la caméra installée dans notre salon. Lucy a accepté le contrat, ce qui signifie qu'elle est au courant et qu'elle consent à être filmée ; une clause non négociable. Après avoir dû changer plusieurs fois de baby-sitters, ma confiance en a pris un coup. J'ai besoin d'une surveillance constante pour m'assurer qu'elles s'occupent correctement de la prunelle de mes yeux.

Lorsque j'ai regardé, elle rangeait le salon. À quatre pattes, en robe – où a-t-elle mis l'uniforme réglementaire ? – elle cherchait les jouets qui se cachaient sous les meubles.

Plus tard dans l'après-midi, c'est une baby-sitter tatouée de gommettes citrouille, vampire et squelette que j'ai entre-aperçue de dos. Harper riait en décollant les autocollants sur les cheveux de la nanny et j'ai même entendue Lucy s'extasier sur le fait que « la petite tornade sait rire ! ».

C'est une enfant, pas un chien... bien sûr qu'elle rigole.

— James ?

Je suis interrompu dans mes pensées par Bettina, mon assistante. Enfin, c'est bien plus que ça. Cette nana est le trésor de l'entreprise. Elle a débarqué il y a cinq ans et a travaillé avec mon père au parc. C'est un atout important que je suis content de garder.

— Ouais pardon. Je suis épuisé...

Elle pose sa main sur la mienne pour capter mon regard.

— Rentre te reposer, James.

Je passe ma paume sur mon visage puis deux petites claques sur mes joues pour me booster.

— Non, non, on a encore des choses à régler pour ce week-end. L'événement est bien trop important pour nous permettre de nous louper.

— Oui sauf que tu as une inconnue chez toi avec ta fille, que tu n'as pas vu depuis trois jours. Sans parler du fait que c'est la sixième baby-sitter en l'espace de trois mois. Ça te stress et je comprends, on comprend, tu n'es pas un robot. Je peux gérer seule, tu le sais.

Bettina sait toujours trouver les mots justes. Elle me connaît mieux que quiconque, sait quand insister et quand me laisser tranquille.

Je sais. Bon ! On continue.

Elle acquiesce, même si je sens bien qu'elle s'inquiète pour moi. Nous avons encore beaucoup de travail à accomplir pour que l'événement de ce week-end soit une réussite.

Du haut de ses 30 ans, Bettina est une femme bourrée de charisme et de qualités. Elle connaît l'entreprise et son fonctionnement presque du bout de doigts.

Beaucoup de nos collègues pensent que nous nous côtoyons également en dehors du travail ; la complicité qui s'est tissée entre nous pourrait prêter à confusion. Bettina est sublime, mais je ne suis pas prêt à m'engager dans une relation sérieuse. Mon emploi du temps surchargé, mes responsabilités en tant que propriétaire du parc et de père, me laissent peu de temps à consacrer à autre chose.

Même sortir est rare. La dernière fois que Jasper m'a tiré de force dans une soirée, c'était samedi. Ça faisait 3 bons mois que je n'avais pas foutu un pied ailleurs qu'au bureau ou à la maison. Mais il lui a même pas fallu 10 minutes avant de m'abandonner au bar pour une femme qu'il venait de croiser. Il m'a poussé à faire de même pour, je cite « évacuer le stress ». Ce que j'ai fait. C'était bizarre parce que je ne suis pas ce genre de gars, celui qui couche et qui ne rappel pas la femme de la veille, mais c'est arrivé et la nana ne m'a rien réclamé – ni mon numéro, ni un autre rendez-vous. Elle est partie, les cheveux en bataille et les joues rouges. Quant à moi, il ne me restait que la trace de ses lèvres rouges dans mon cou et un bon souvenir dans mon club.

Ce club, je l'ai créé pour attirer les gens vers nous, vers Nightmare Island. Les gens y retrouvent leurs amis pour profiter du spectacle offert par nos danseuses et danseurs exotiques. Ensuite, ce sont nos clients qui se lancent sur la piste de danse. J'aime cet endroit, son ambiance joyeuse et vibrante. Par moments, il me permet d'oublier ma douleur.

J'éteint toutes les lumières – je suis le dernier à partir – puis ferme toutes les portes. J'enfourche ma moto et parcours les quelques petits kilomètres qui séparent les locaux de l'entreprise du parc de mon domicile.

Il est vingt-trois heures trente, je suis impatient de retrouver mon lit douillet. Je me suis contenté de grignoter rapidement quelque chose sur place – une habitude de plus en plus fréquente. Il ne me reste donc plus qu'à prendre une bonne douche avant de dormir.

J'insère les clés dans la serrure, tourne la poignée et pénètre dans mon chez-moi, où règnent le calme et la sérénité. Soudain, j'entends un bruit, allume la lumière pour en identifier la source. Me voilà nez à nez avec...

— Oh, non, dites-moi que je rêve.

La jeune femme en face de moi, brune aux yeux noisettes est tout aussi déboussolée que moi. Elle passe une main dans ses cheveux dans le but de dompter sa tignasse. Un silence s'étire durant lequel aucun de nous n'ose prononcer un seul mot.

— Et merde ... lâche-t-elle en français.

Bien, au moins, nous sommes sur la même longueur d'onde.

La brunette se tient droite, son souffle saccadé résonne dans la pièce, elle panique et je ne peux que la comprendre.

— Vous êtes Monsieur Greyson ?

Elle grimace lorsque j'acquiesce. Son visage se décompose. Le mien doit être dans le même état.

— Je euh... vais me coucher, annonce-t-elle finalement d'une voix tremblante.

Sans attendre de réponse, elle tourne les talons et file à toute allure vers l'escalier, me frôlant à peine dans sa hâte.

Voilà qui s'annonce compliqué.

Voilà qui s'annonce compliqué

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