Chapitre 16 Les supplices du dragon noir Point de vue Lyrina

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Trois mois passés dans la solitude, loin du château. Trois mois où je demeure libre, loin des complots politiques. Je vis en tant que dragon, volant à travers les cieux, chassant pour me nourrir en carbonisant mes proies avec mes flammes et en les mastiquant avec mes crocs pointus. Je ne suis plus une princesse, mais la créature que je désirais être par-dessus tout depuis tant d'années.

Transformée sous ma forme magistrale, je ressens un état de bien être incomparable, comme si toutes ces années, j'ai été incomplète. Cette partie en moi, qui ne demande qu'à se réveiller change mon destin de tout au tout. Métamorphosée, je me sens prospère, moins tourmentée que je l'ai été à la cour.

Je ne pense plus à mon ancienne vie, tout est derrière moi dorénavant. Il peut se passer n'importe quoi là-bas, je n'en ai que faire. On m'a bien fait croire que je n'ai pas ma place en tant qu'impératrice, je l'ai à cet instant en tant que dragon dans la forêt des songes.

À l'intérieur de ces bois, tout est calme, il n'y a jamais personne qui s'y rend. Sa réputation les précède, faisant de ce havre de paix un endroit serein et tranquille. Je ne ressens plus le besoin de me cacher de tous, me complaisant dans la totale obscurité.

Alors que je crois que tous les problèmes sont derrière moi, je sens une présence, tandis que je me prélasse à l'ombre. Un grincement de branche me sors de ma rêverie. Je me retourne et découvre la personne que je n'aurais jamais pensé revoir un jour. Derreck... Mon cœur se serre de le revoir. Je veux me transformer et me précipiter dans sa direction, quand je remarque que quelque chose est différent.

Malgré le temps passé, il n'a pas changé. Ses cheveux blonds lui descendent en cascade sur ses épaules, à défaut d'une barbe mal entretenue qui a pris place sur son menton. Ses yeux noirs, en revanche, me fixent avec animosité. Son arc à la main, il me vise, comme s'il veut me tuer. Je ne peux supporter qu'il me considère ainsi. Pas lui...

Une colère s'empare de moi, m'aveuglant. Mon cœur de dragon palpite si fort que je suis sur le point de commettre l'irréparable. Les crocs serrés, proche de son visage, je suis à deux doigts de faire de lui qu'une bouchée. Son visage laisse place à un air de terreur, que je ne connais pas de lui, que j'ai vu une seule fois quand il se trouvait à l'article de la mort.

Ses yeux clos, j'entends son rythme cardiaque diminuer, manquant quelque fois une respiration à cause de la peur. Il se sent prêt à accueillir la mort. Le voir ainsi transforme l'océan tumultueux déferlant en moi, en eau calme, me plongeant dans mes souvenirs douloureux. Il arbore les mêmes traits que mon père juste avant de mourir. Je ne peux pas le perdre, pas lui.

Je me détache, tout en m'éloignant avec un hurlement, comme s'il peut évacuer ma peine. Mon seul ami me voit comme un monstre, et cela, je ne l'accepte pas. Dans mon coin, loin de lui, je laisse libre court à mon chagrin, accueillant la nuit, me laissant ainsi porter par mes songes, les yeux grands ouverts.

Le soleil brille d'une lueur intense dans la cour du château, l'été est vraiment au rendez-vous. Comme toujours je profite de chaque instant, en dehors de mes cours d'escrime, les règles de bienséance, les histoires de l'empire.

Le vent souffle, faisant voltiger mes cheveux, les feuillages alentours. Positionnée tout près de la rivière, je regarde quelques instants ma nounou en train de tremper mes vêtements dans l'eau, puis les frotter énergiquement avec une brosse et du savon. C'est la tâche des lavandières, et pourtant, elle préfère le faire quand il s'agit de mes robes et de mes soieries. Exerçant anciennement cette profession avant son entrée au château, elle ressent le besoin de travailler ses mains comme avant, la replongeant dans le passé.

Rares sont les fois où elle me parle de cette période oubliée, comme si l'évoquer la fait souffrir. Je sais uniquement qu'elle a perdu son enfant en lui donnant naissance, et que son époux l'a abandonnée, préférant vadrouiller dans le monde entier. Durian, aussi vaste soit l'empire, il y a encore pleins de choses à découvrir par-delà les frontières, des mystères bien gardés qui ne demandent qu'à être déterrés. Parti en quête de ces secrets, sur un bateau, il voguait en pleine mer, jusqu'à ne plus donner une seule nouvelle.

Sang du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant