Chapitre 5 Un adieu doux et amer

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Trois jours sont passés depuis le bal des débutantes, mon père se trouve toujours à l'article de la mort. Les médecins ont pu réagir à temps pour le sauver, ce qui n'empêche pas que son état demeure précaire. Il n'y a aucune évolution dans les deux sens, la prononciation de diagnostic reste être impossible. Personne ne sait de quel mal il souffre, mais une chose est sûre : son pronostic vital est engagé.

Rares sont les fois où mon père reprend conscience. Il ouvre certes les yeux, mais ses iris demeurent vides. Leurs clartés habituelles se sont évaporées, laissant place au néant. De le voir ainsi me fait beaucoup de mal. Il ne représente plus l'homme fort et puissant de jadis, mais un malade attendant sa dernière heure.

Les rares fois où il ouvre la bouche, c'est pour prononcer des choses qui n'ont aucun sens. Il ne me reconnaît plus du tout, me confondant avec ma mère, alors que je ne lui ressemble pratiquement pas. À part la couleur de nos yeux et la forme du visage que j'ai hérité d'elle, Je suis le portrait craché de mon père. Mis-à-part cela, il divague complètement en articulant des mots qui ne veulent absolument rien dire.

Le voir ainsi me fait souffrir. J'ai l'impression de le perdre davantage chaque jour qui passe, néanmoins, je continue de m'accrocher jusqu'au bout, priant continuellement les Dieux pour qu'ils le maintiennent en vie coûte que coûte. Il n'a aucun droit de m'abandonner, pas maintenant, ni jamais. J'ai besoin de lui à mes côtés.

Le chagrin m'envahit du plus profond de mon être. J'ai l'impression de me retrouver dans un gouffre sans fond, sans aucune notion du temps et d'espace. Une haine profonde grandit également en moi. Oui, je haïs nos Dieux qui continuent de me faire souffrir de la sorte. Ils ont décidé que je sois une femme, me privant ensuite du pouvoir de ma lignée. Ils m'ont arraché toutes les personnes à qui je tiens. Soit elles sont bannies de la société, les éloignant de moi, soit elles sont mortes ou sur le point de mourir. Je suis maudite, vouée à la solitude jusqu'à la fin de mes jours.

Aucune larme ne peut évacuer ma peine, aucun cri de rage ne peut me libérer de ma colère. Je me sens vidée de toutes émotions qui m'assaillent de toute part, rendant mon cœur incapable d'exprimer quoi que ce soit. La seule chose que je me permets, c'est de tenir bon pour mon père, de toujours rester à son chevet en attendant que le destin puisse décider de son sort.

Jamais je ne le quitte, même si les mestres et ma nounou insistent pour que je me repose. Le laisser est pour moi un signe d'abandon. Je ne peux pas faire cela, alors que c'est le moment où il a le plus besoin de moi, ce qui serait une trahison auprès de la personne que j'aime le plus au monde. Je reste donc dans sa chambre jour et nuit, sans relâche, en usant de la voix contre ceux qui veulent désespérément me détacher de lui. Je ne leur laisse pas le choix de toute façon, je suis leur princesse.

Durant ces trois jours, j'alterne sans cesse entre les assoupissements et les moments de veille. Pour me dégourdir les jambes, je fais les quatre cents pas, parcourant la pièce de long en large. Je deviens folle, on dirait un lion en cage. Plus les heures passent, plus j'ai l'impression de perdre la tête, je ne suis vraiment plus la même.

Je prends ensuite place devant la fenêtre et regarde le paysage qui s'offre à moi. La première neige tombe sur les douves du château, recouvrant chaque pierre, chaque pavé environnant. La grande forêt de Brugge se drape de son plus beau manteau blanc tapissant chacun des arbres et leurs feuillages. La rivière doit sûrement, elle aussi, en être recouverte, donnant naissance à de la glace solide et glissante.

Je ne peux m'empêcher de regarder ce spectacle grandiose prodigué par Dame nature avec un air de nostalgie. Je me rappelle les moments passés durant cette période de l'année, où tout allait pour le mieux. Petite, mon père, ma mère et moi allions souvent dans les bois pour faire du patin à glace, mais aussi des batailles de boules de neiges. Chaque fois, je gagnais, enfin c'est ce qu'ils voulaient me faire croire. Je détestais perdre, alors, ils faisaient semblant de perdre pour ne pas me frustrer.

Sang du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant