Chapitre 8 Noires ailes, sombres nouvelles

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Arrivé à l'intérieur de la bâtisse fait de planches du sol au plafond, je rejoins le comptoir. La tavernière, nommée Martha que je connais trop bien, frotte énergiquement les chopines de bière avec un torchon. Complètement absorbée par son travail, elle ne m'adresse aucun regard, comme si elle ne m'a pas entendu entrer. Je prends alors place sur l'un des sièges et attends qu'elle puisse me servir.

À cette heure de la journée, les habitués sont déjà présents, un verre à la main, et pour certains, bien accompagnés par de jolies filles de joie qui commencent à se dénuder petit à petit devant les hommes enivrés qui ne font que couvrir chaque parcelle de leur peau de baisers. Il n'y a pas d'heure pour boire de l'alcool et s'adonner au plaisir de la chair, surtout dans les tavernes qui en regorgent sans arrêt à toute heure. Pour ceux qui ne sont pas occupés avec une putain, certains se regroupent et discutent notamment de l'actualité. C'est par le bouche-à-oreille qu'on s'informe sur les nouvelles réglementations, la prise de pouvoir de tel seigneur et les conflits au sein de l'empire.

Comme tous, il y a trois mois de cela, j'ai entendu les cloches tinter, annonçant le décès de l'empereur Roger, le cinquième du nom et l'avènement du nouvel empereur. Son beau-frère lui a succédé à sa mort, alors que tout le monde s'attendait à ce que ce soit sa fille, la princesse héritière. Une attaque s'était produite cette nuit-là, empêchant son ascension au trône.

Ce genre de situation arrive régulièrement dans plusieurs royaumes voisins, surtout quand il s'agit de prendre le pouvoir. Néanmoins, le plus impressionnant de toute cette histoire est la transformation de la princesse en un magnifique dragon noir.

Je ne crois absolument pas en cette rumeur. Certains racontent qu'ils l'ont vue de leurs propres yeux, mais au bout de combien de verres ? Des ivrognes, sans aucun doute, mélangeant leurs visions à la réalité. Contrairement à tous ceux qui répandent leurs paroles comme une traînée de poudre, je connais la princesse Lyrina mieux que quiconque. Nous étions amis et avions grandi ensemble. Je sais qu'elle ne possède aucune trace du sang de dragon, lui empêchant de se métamorphoser comme ceux de sa lignée. Alors il est impossible que ces racontars soient avérés, néanmoins, je garde le silence, tout en évitant d'attirer l'attention. Ce n'est pas bon pour les affaires de prendre position, surtout pour un hors la loi comme moi.

Le regard perdu au loin, je sens du mouvement face à moi. Je détourne mon attention et croise les iris bruns de Martha.

— Derreck, je ne t'avais pas vu entrer, m'interpelle-t-elle. Alors, qu'est-ce que je te sers.

— La même chose que d'habitude.

— Je te fais ça tout de suite.

Elle s'exécute sans plus attendre à la tâche, sa robe grise en mouvement quand elle bouge. Une fois la choppe remplie de bières, elle me la tend.

— Tu m'en diras des nouvelles, ajoute-t-elle en passant ses doigts sur ses cheveux en faisant glisser sa mèche sous son bandeau assorti à ses vêtements.

Je la goûte sans plus attendre, savourant son amertume.

— Elle est exquise, ajouté-je. Comme toujours.

Elle affiche un sourire radieux, ses joues commencent de rougir.

— Je suis contente qu'elle te plaise. Elle a été fraîchement brassée hier par mes soins.

— Je vois.

Elle commence ensuite à me faire part de son récit de fabrication de cette boisson, vantant ses mérites, ce qui ne m'intéresse guère. Je suis au courant de ce qu'elle ressent pour moi, cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Contrairement à elle, je ne la vois pas de la façon dont elle le souhaiterait, même si nous avons passé plusieurs nuits ensemble. Je peux sombrer à tout moment, je n'ai pas le temps de penser à cela.

Sang du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant