Sang du dragon

Chapitre 1 Une créature impériale Point de vue Lyrina

La pluie tombe en trombe sur l'empire de Durian, comme à chaque fois durant cette période de l'année. En cette saison automnale, le soleil ne se montre que rarement dans le vaste ciel, laissant une nuance grise et obscure, ce qui ne m'empêche pas de profiter de chaque instant de liberté.

Sur les vastes remparts du château qui s'étendent sur plusieurs mètres de haut, je surplombe toute la vallée, ce qui me donne l'impression d'être maîtresse de l'univers. De là, je sais que je suis en sécurité dans cette forteresse impénétrable vu la robustesse de ses murailles, comme le fruit durian portant le même nom que l'empire, qui possède une coquille pointue, rappelant les défenses d'un hérisson. Depuis sa construction, personne n'a réussi à la prendre de force, à moins d'y être invité par un traître, ce qui n'arrivera jamais. 

Je regarde paisiblement le paysage qui s'offre devant moi que seule mère Nature en est la créatrice. Au loin, j'entends les oiseaux chanter de leur voix mélodieuse, le vent souffler sur le feuillage teinté de brun des arbres, le bruissement de la pluie se déversant par fines gouttelettes sur les toits des chaumières de la citadelle en pierre. Sur le point de clore les paupières de pur bonheur, je me laisse porter par les sons qui m'entourent. Ce cadre utopique a le don de m'apaiser, je me sens dans ma bulle, coupée du monde. Personne ne peut m'extirper de ce moment de bien être hors du temps. 

Soudain, un dragon passe dans le ciel, gris et nuageux. Ses écailles rougeâtres brillent sous les faibles rayons du soleil. Ses crocs nacrés, ses griffes acérées et ses ailes déployées lui donnent un air majestueux. Après avoir surplombé le vaste espace se présentant à lui, il atterrit sur les pavés en brique de la cour du château.

À toute hâte, je quitte les remparts en courant afin de rejoindre la magnifique créature. Une fois arrivée à destination, le dragon se métamorphose en être humain, d'un seul battement de cil. Une lumière éclatante l'enveloppe, jusqu'à disparaître dans le néant. J'ai beau y être habituée depuis ma tendre enfance, jamais je ne peux me lasser d'observer ce pouvoir impressionnant, que seul l'empereur et sa descendance possèdent, un héritage transmis de génération en génération dans ma famille.

Malgré le fait que je sois son unique enfant, je ne présente aucune trace de ce don grandiose, laissant ce dernier en être l'ultime détenteur. À sa mort, le sang des dragons disparaîtra avec lui, ce qui entraînera par conséquent la destruction de la lignée.

L'absence de pouvoir en moi a souvent été source de conflit. À ma naissance, les mestres avaient cherché d'arrache-pied la raison pour laquelle j'en suis dépourvue en étudiant mon sang méticuleusement prélevé par des saignées. Malgré leurs expériences incessantes et inimaginables qui ont duré plusieurs années, jamais ils n'ont trouvé la réponse. Certains stipulent que j'en suis privée à cause de mon sexe, quand d'autres disent que les Dieux ont décidé qu'ils me réservent un autre destin, un signe qui peut m'éloigner du pouvoir.

Au fil des années, tout le monde attendait le moment où ma mère, l'impératrice, donnerait naissance à un fils. Malgré de nombreuses grossesses, aucune n'aboutit. Soit l'enfant mourait dans son ventre, soit il quittait ce monde après avoir vu pour la première fois la lumière du jour. Cette tragédie demeurait la même encore et encore, jusqu'au moment où elle perdit la vie, en même temps que le fils promis.

Le jour de l'enterrement de celle qui m'avait donnée naissance, je fus nommée l'unique successeuse dans la lignée impériale, ce qui ne plaisait pas à tout le monde, notamment mon oncle qui n'acceptait pas qu'une femme puisse siéger sur l'empire en ayant l'ascendant sur tous les royaumes qui le composaient. Malheureusement, il n'était pas le seul à le penser. Je devais alors continuellement faire mes preuves, afin de leur prouver, que même en étant une femme, j'avais les capacités de régner d'une main de fer.