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  Quand Shinichiro Sano se leva ce matin dans sa chambre, il sut qu'un coup de chance venait de se produire. Mais il ne voyait pas comment profiter, concrètement, de l'occasion présente devant lui. Il y avait réfléchi durant quatre jours sans trouver de réponse.
  Maintenant, le 23 avril, à onze et demi du matin, il attendait le rapport des espions du journaliste, et n'avait toujours pas la moindre idées de ce qu'il faisait.
  En réalité, à cet instant, il s'en foutait.
  Parce que depuis deux jours, il était encore sous le choc.
  Le choc de ses sentiments.

  Il n'avait jamais comprit le mépris qui planait sur le fait qu'on aime sans savoir ce qui nous attire vers l'autre, surtout quand on tombe amoureux. Subitement. Sans que rien ne puisse nous prévenir. Cette chose grandissait attirant le regard des autres. Comme si elle devenait avant tout le génie qui résoudrait des problèmes, provoquant des illusions, des évidences, provenant d'un organe qui ne se contrôle plus et qui rend le corps instable.
Comme si l'apprécier, l'adorer pour ce qu'il est, savourant son goût, sa passion était une fraude ou une injure à soi. Cet homme, il voulait l'aimer pour ce qu'il est.
  Pures conneries.
  Le don de cette chose, l'Amour, le seul, était d'une beauté incroyable qui rendait presque malade. Le reste autour devenait éphémère. Le miracle des fusions dans chaque cellules du corps, l'atroce ballonnement dans le ventre... les fourmillement lors des baisers ; donnaient l'harmonie parfaitement équilibrée, mais aussi désorientée de découvrir une moitié. Tout semblait question d'admiration. Sans se lasser. Et de savoir que ce que l'on ressent grandit chaque jour. En appelant « la connaissance de l'autre », « le partage » ou « les échanges » le mensonge devenait vrai. Pour une raison simple : il ne voulait jamais se confronter à ce sentiment soudain. Il ne pouvait s'exprimer autrement. Sa nature ancestrale d'apprendre que l'on est tous touché par ça le rendait anxieux.
  Il ne voulait pas de l'amour. Croiser son visage : c'était à la fois aussi simple et difficile. Ensuite, ce n'était que stratégie, calcul et réflexion. Dès qu'il parlait à son « élu » il commençait lui-même à mentir. Il pénétrait dans le cercle abject de ce sentiment réciproque. Alors que Wakasa lui donnait tout ce dont il cherchait, s'enfonçant dans son âme qui lui paraissait vide, son cœur s'emplissait d'un manque qu'il n'avait jamais connu auparavant.
  Une chanson de REM lui revint en tête.

Life is bigger
It's bigger than you
And you are not me
The lengths that I will go
The distance un your eyes
Oh no I' said too much
I set it up

« Loosing my Religion ». Ces vers l'avaient toujours obsédé. Il lui semblait résumer l'essence même de sa Quête. Ce drame intime et éternel, qui consiste à laisser défiler sous ses yeux son propre visage sans parler, à se fondre parmi les autres pour ne pas se faire remarquer. Alors qu'au fond, un irrésistible élan vous pousse vers lui. Franchir ce cap. Seul cet éblouissement premier compte. L'étincelle primordiale.
  Voilà pourquoi, alors qu'il s'apprêtait à donner des missions à Wakasa, et à en tirer quelque maigre plaisir, il avait été subjugué par cet homme qui prenait de la place dans son univers.
  Il ne s'attendait pas à cela - pas du tout.
  Plus qu'un regard, le comportement de Wakasa s'affirmait et redevenait un propre qui lui allait bien.
    Sous ses yeux fatigués, l'expression était sincère, honnête, soutenue dans un air blasé. Quant à ses lèvres, elles savaient s'étirer pour sourire et embrasser. En même temps, il émanait une force, un charisme dans son comportement.
  Mais une question le perturbait : avait-il le droit d'aimer dans de telles circonstances ? Sano ne songeait jamais à lui. Cet étrange décalage dans sa façon de penser le fit doucement sourire. Il traversait son corps, oubliant les filtres qu'il s'imposait depuis longtemps. Finalement, le noiraud se retrouvait nu face à cet homme et il se sentait fondre, capituler, touché déjà au plus profond de soi.
  « Touché » était le mot exact.
  Une blessure antérieur ne cessait de s'ouvrir dès qu'il pensait à tout ça. Un désir, déjà trop douloureux. Un appel, de l'anxiété...
Shinichiro tombait amoureux. Il en avait peur, il voulait plonger dans cet océan.
  Désormais, Sano avait décider de se laisser aller, tout en voulant jouer le jeu de la confession.
  Et même au-delà.
  Il en avait besoin. Il le souhaitait plus que tout malgré l'interdiction qu'il s'était donné.
  Dans la salle de réunion, une personne entra juste après lui...
  Le grand noiraud au mulet marchait en silence, probablement dans ses pensées. Sano sortit de sa rêverie. C'était peut-être le coup de chance qu'il attendait. Il se leva et attrapa une cigarette dans son paquet, tout en observant son ami, il lui tendit une tasse de café.
- T'es bien en avance... souffla-t-il en s'asseyant face à Takeomi. Il attrapa une cuillère pour mélanger sa boisson.
- Je voudrais te parler d'un truc.
- Dis toujours.
- Tu l'aimes ce mec ?
  Shinichiro affirma sur son visage un air surpris. Il dut s'y prendre à deux fois avant de répondre. Tout se voyait chez lui. Inspirant l'air, il regarda un point fixe quelconque.
- Si tu as peur que je merde la mission, sache que ça ne va impacter personne.
- Il le sait qu'il te plait ?
  Enfin il posa son regard carbone sur son ami en souriant. À cet instant, il sut qu'il ne s'agissait pas de reproches ou d'une conversation sur la concentration des événements.
- J'en sais trop rien. Je veux dire on fait certaines choses, il sourit en pensant à la dernière nuit avec cet homme. Mais, il n'y a pas de mots exactes sur nous deux.
- Je vois... Shin, tu as le droit à être heureux tu sais. Tout ce qui arrive n'est pas de ta faute.
  Takeomi fixa son ami pendant un long moment, le silence planait. Il se redressa pour écraser sa cigarette :
- On a un bon plan pour le moment, il faut juste une réponse de ton frère. Alors, profites en un peu pour te rendre heureux.
  Sano se redressa pour faire face à son ami :
- Il te manque ?
  Le balafré fronça les sourcils. Ils semblaient s'être mit sur la défensive, cependant le regard sérieux et compréhensif du noiraud l'apaisa :
- Un peu... mais, je peux rien faire pour le moment.
- Toi non. Mais nous tous ici oui. On va régler ça.
  Takeomi jeta un regard sur son ami qui n'apparaissait plus en tant que chef.
- Pour ça que tout le monde te fais confiance mec !
- Hum... ouais sûrement !
  Il avança dans la pièce faisant les cent pas. Takeomi avala d'un trait le reste de sa tasse avant que la porte ne s'ouvre à nouveau.

  Le bureau en chêne massif bougea d'une brève secousse, les dossiers en pagailles tombèrent sur le sol.
  Benkei débarqua dans la pièce faisant face à ses deux yeux amis d'un air agacé :
- Bordel !
  Takeomi se redressa dévisageant son ami, fixant le visage épuisé et de mauvaise humeur de cet homme. Shinichiro songea à une réflexion violente, qui porterait sur le manque d'action du Black Dragon en ce moment, mais la panique de Benkei paraissait différente.
- Ils ont fait une annonce !
- Qui ça ?
  Le grand costaud soupira :
- Izana a répondu à Waka... il veut le voir dans une semaine tout en mettant ses conditions.
- Putain tant mieux !
  Le jeune homme observa avec attention ses yeux amis. Il reprit :
- En réalité, pas tant que ça.
- Qu'est-ce qu'il y a d'autre ?
  Demanda le vice capitaine en se levant.
- Un homme nommé Kisaki qui est censé représenter le Manji Kai a assassiné un haut placé. On doit se barrer de la planque dans même pas trente minutes. Il lança un sac à ses amis.
  Sano enfonça ses mains dans ses poches. Il avança vers la porte, et appuya sur un bouton sur le mur. Des lumières jaillirent dans le couloir, laissant un son monstrueux infiltrer leur oreilles.
- Tout le monde se tire de là. Chacun trouve une planque. Je vous contacterai dès que possible.
- On se bouge !
- Maintenant. Ordonna-t-il sèchement en sortant du bureau sous le calme de ses amis.

  Il erra dans le couloir dans une vitesse folle qu'il ne se connaissait pas. La sirène retentissait dans tout le QG et les forces de l'ordre ne tarderaient pas à arriver. L'homme du Manji Kai les avait dénoncés.
  La rumeur, les coinçait à nouveau, elle montait encore. Shinichiro fit un geste de la main à Takeomi pour indiquer une sortie - tout ce cirque l'agaçait, il brillait dans une lumière sombre.
  Par association d'idée, le noiraud fit le vide dans son esprit, il devait partir avec le journaliste. Il avait la réflexion, l'instinct.
- Wakasa !
  Shinichiro ouvra la porte. Le jeune homme leva la tête, fermant son sac.
- Il faut qu'on parte. Tout de suite, dit-il d'une voix étouffée. On nous a foutus dans la merde. Viens.
  Imaushi s'avança dans le plus grand des calmes olympiens vers lui. À ce moment, il aperçut un soupçon de légèreté, inconsciemment, depuis le début des galères : il prit la main du blanc.
  Malgré lui, il sourit.
  Puis ils se mirent à courir.
  Le coup de chance qu'il attendait était donc survenu.
- Tu vas voir ce que s'est d'être dans un gang merdique, murmura-t-il.

𝙇𝙖 𝙏𝙧𝙖𝙘𝙚 𝘿'𝙪𝙣𝙚 𝙇𝙞𝙜𝙣𝙚 |ʷᵃᵏᵃˢʰⁱⁿ|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant