BOURREAU DES COEURS - TOME 1 - Le Bourreau

CHAPITRE 19 - Eleanor

— Je vous en prie, relâchez-moi ! Ça ne se reproduira pas, je vous le promets...

Je suis consciente que j'ai failli faire un faux pas. Mais j'ai vu la détresse dans leurs yeux. Il fallait qu'elles sachent. Il fallait que j'essaie de les informer de ce qu'il se passait ici. Au moins, elles auraient pu s'y préparer. Pas comme moi, qui ai dû encaisser dès mon arrivée ici, sans savoir le moins du monde ce qui m'attendait.

J'ai échoué.

— Oh, Eleanor... Tu es si influençable... Après tout, je te comprends. Isabella est perspicace, intelligente, et douée dans l'art de manipuler les autres. Mais ne t'inquiète pas, elle n'aura plus l'occasion de le faire avec toi.

— Co... Comment ça... ? Bredouillé-je.

— Tu vas le payer très cher, me menace-t-il.

La voix de cet homme est aussi cruelle que dans mes souvenirs. Sa menace ressemble à une promesse solennelle. Il se détourne de moi, tire fort sur son mégot et inspire la fumée noire à pleins poumons, les yeux clos et la tête basculée vers l'arrière, comme si ses paroles n'avaient rien de terrifiant.

De mon côté, je suis complètement tétanisée. Je devrais songer à m'enfuir. Ou peut-être à trouver un objet pour le frapper. Mais j'en suis incapable. J'en ai toujours été incapable.

Depuis que je suis entrée dans cette pièce, la première fois, la peur s'est immiscée dans mes veines. Elle circule dès à présent dans mon sang, et jamais plus je ne pourrai éradiquer cette marque indélébile. Je suis bien consciente de l'influence que cet homme a sur moi, mais je ne peux rien y faire. Il m'a emprisonnée de ses chaînes.

— Prépare-toi, ma chère Eleanor. Car aujourd'hui, ça va être ta fête, me prévient-il, tout à coup.

— Quoi ? M'exclamé-je.

Tandis qu'il reste de marbre, je réalise ce qu'il vient de me dire. Aussitôt, mes yeux clignotent de terreur et ma poitrine se gorge d'un oxygène qui m'empoisonne.

— Non ! Pitié, Monsieur Campbell ! Pitié !

Hadrian balance la tête sur le côté pour m'indiquer le lit. À ce moment-là, des frissons grignotent ma colonne vertébrale. Hadrian éclate d'un rire hystérique, se riant ouvertement de la situation, comme à son habitude.

— Depuis le temps, ma chère, tu devrais savoir que la pitié n'appartient pas à mon monde. Dépêche-toi, m'ordonne-t-il une nouvelle fois.

— Je vous en supplie...

Je joins mes mains devant mon visage en signe de prière. Malgré ces jours entiers à souffrir, à subir, à être sa poupée de chiffon, j'ai encore espoir qui me laissera partir.

Je veux revoir ma fille. Elle n'a que quatre ans. Je veux revoir mon cher mari, Alexander. Je veux revoir toute ma famille et mes amis. Mes collègues de bureau. Je veux sentir à nouveau l'air frais de l'extérieur sur mon visage, les gouttes de pluie glisser doucement sur ma peau, et la chaleur des rayons du soleil. Je veux revoir ma vie.

Une douleur furieuse liée à l'angoisse irradie au ventre, tandis que mes jambes commencent à avoir du mal à supporter le poids de mon corps, malgré ma silhouette fine de brindille sur le point d'être brisée.

— Pitié, Monsieur...

— Donne-moi tes poignées, m'ordonne-t-il, ne prêtant aucune attention à mes supplications.

— Pitié...

— Donne-moi. Tes. Poignées. Répète-t-il, furieux.

Il aspire la fumée de son mégot avec tant de violence cette fois, que je comprends aisément que je suis allée trop loin. Or, quitte à mourir, je veux le faire dans la plus grande des dignités.