CHAPITRE 50 - Hadrian

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Elle continue de déguster son plat avec avidité. Et moi, je ne me détache pas de sa silhouette et de son visage qui, depuis quelques minutes, expriment une frustration sans pareille. Son couvert est propulsé à maintes reprises contre le verre de l'assiette, qui tinte violemment sous le choc. J'aimerais bien savoir ce qu'il se trame dans sa petite tête bien remplie. Alors, je prends les devants :

— Qu'est-ce qu'il se passe, Isabella ? Tu n'as pas l'air satisfaite. Nous passons pourtant une excellente soirée, non ?

Elle relève lentement la tête, et son coude se pose instantanément sur le rebord de la table.

— Vous vous inquiétez pour moi...? Ose-t-elle suggérer.

— Non. Je suis juste curieux.

Elle relève difficilement son deuxième bras, toujours prisonnier des menottes, en faisant la moue, puis elle place une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Je décèle alors une certaine tristesse dans son regard, tandis qu'elle cligne des yeux à plusieurs reprises pour ravaler ses larmes, qui menacent de tapisser ses joues rosées. Mais je ne dis rien. Je la regarde terminer son assiette, bouchée après bouchée, dans un silence absolu, les mains croisées sous le menton.

Cette soirée est réellement spéciale : le comportement d'Isabella laisse à désirer. Je la sens complètement chamboulée, incapable d'y voir clair dans toutes les pensées qui doivent circuler à l'intérieur de sa tête.

Être torturé comme ça...

C'est pas Dieu possible !

Heureusement pour moi, je ne suis pas né avec la capacité de ressentir autant de sentiments contradictoires. La seule chose que je ressens, ce sont les petits plaisirs de mon quotidien hors-normes.

— C'est moi qui te rends aussi triste ? Osé-je, sans le moindre scrupule.

— Oui.

Au moins, c'est honnête.

— Mmh... Je ne pensais pas avoir autant d'effet sur les femmes ! Pouffé-je, en lui envoyant cette réflexion pleine de sarcasme.

Un voile de noirceur traverse ses iris. Bien sûr, elle attend que je lui exprime de l'empathie, mais ça n'arrivera pas. Je ne me mettrai jamais à sa place, je n'en suis pas capable. Et je n'en ai pas envie non plus.

En y réfléchissant plus en profondeur, j'imagine que cette profonde tristesse vient du fait qu'elle aimerait autre chose, ce soir. Plus d'attention, peut-être ? Que je sois son prince charmant ? Impossible, je suis le méchant de l'histoire.

Et autant dire que ça me plaît.

Je porte à nouveau le verre de vin à mes lèvres, tout en la fixant. J'avale lentement ce liquide âpre et fruité, qui me laisse une texture sucrée en fin de bouche, puis dégage les anges cul nus qui tournoient autour de nous :

— Tu es née à Denver ?

— Non.

— Mmh... Alors dans quelle partie du Colorado as-tu grandi ?

— Je ne suis pas née dans cet état.

Fuyante.

Ça cache quelque chose de plus profond.

— Alors, d'où viens-tu ? Insisté-je.

— Du Missouri. J'y ai passé mon enfance, pour ensuite aller faire mes études à Denver, m'apprend-t-elle. Satisfait, Monsieur Campbell ?

Son ton est mordant. Et même si je m'en rends évidemment compte, cela ne m'empêche pas d'enchaîner cette conversation, qui m'en apprendra certainement beaucoup plus sur elle que ce que j'espère déjà.

BOURREAU DES COEURS - TOME 1 - Le BourreauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant