CHAPITRE 27 - Isabella

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Cela fait maintenant plus de deux heures au moins que je suis seule, vouée à moi-même, dans les profondeurs abyssales du cerveau détraqué de notre geôlier. Je tourne en rond dans ses grandes pièces vides, attendant toujours que l'une de mes camarades franchisse à nouveau la porte d'entrée. Mais cela fait maintenant des heures que le soleil brille, et Hailey et Alexandra ne sont toujours pas réapparues.

J'ai peu d'espoir.

En fait, je crois que, moi aussi, je commence à perdre cette étincelle de vie qui me forçait à me battre encore et encore. Je sens que j'étouffe. Pourtant, une partie de moi donnerait tout pour sortir de ces quatre murs, quitte à passer quelques heures dans la Dark Room.

Oui, j'en suis là.

Ça y est, je deviens complètement folle...

Oui, ça doit être cela. La solitude et l'isolement doivent me taper sur le système, à tel point que j'en viens presque réclamer qu'Hadrian vienne me chercher. Je donnerais mon corps tout entier pour pouvoir sentir une brise d'air frais, même si c'est celle d'une grosse claque en pleine figure. Je donnerais mon cœur pour humer le parfum des floraisons, celles desquelles je ne profitais même pas du temps où j'étais encore libre comme un oiseau. Je donnerais mon âme au Diable, pour entendre les vrombissements des moteurs, ceux qui me réveillaient les nerfs à vif depuis mon emménagement en ville.

— Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Songé-je à voix haute. J'suis sonnée, ou quoi ?

Je tourne encore et encore dans les différentes pièces de notre minable appartement, et m'arrête sur chaque détail, chaque meuble, chaque décoration, chaque élément qui fait de cette pièce notre prison, et bientôt notre tombeau.

Dieu seul sait ce que mes camarades sont en train de subir alors que moi, je suis encore tranquillement emmitouflée dans un plaid, à faire les cent pas dans notre demeure, et me plaindre du fait que je m'ennuie.

— Je suis encore plus conne que ce que je pensais...

Est-ce que cela fait de moi une personne horrible, une personne à bannir ? Une personne à isoler de la société à tout jamais ? Une personne à enfermer à double tour comme je le suis aujourd'hui, anti-dépresseurs et antipsychotiques à l'appui ? Suis-je à ce point sans cœur ? Je ne sais pas. En fait, je ne sais plus.

Au bout d'un moment, sentant mes jambes se dérober sous mon poids, je retourne dans la chambre et m'allonge sur le lit. Je fixe le plafond durant un long moment, ce plafond immaculé qui ne laisse même pas entrevoir les étoiles et qui ressemble étrangement à un plafond d'asile psychiatrique.

Lieu où je finirai certainement ma vie après cette expérience.

Si je survis.

Finalement, une pensée me traverse, une pensée que je redoutais jusqu'ici, mais qui s'avère être la plus vraie que je n'ai jamais eue : ce lieu me semble presque familier, maintenant. Comme un petit refuge avorté, qui me préserve d'une vie quotidienne éreintante, avec un homme que je n'aime plus depuis bien longtemps.

Cette prison est devenue, au fil des jours, mon sanctuaire. Un lieu dans lequel je me retrouve, dans lequel je me consacre uniquement à moi-même. Cet unique endroit où je peux être moi-même, cet unique endroit où je n'ai plus peur de mes propres pensées. Cette demeure où tous les travers sont autorisés.

J'ai à la fois l'impression de ne plus me reconnaître, et l'étrange sentiment de me découvrir à peine. Qui suis-je ? Suis-je réellement cette femme douce qu'est Isabella ? Cette femme ayant une vie bien rangée, et qui ne se plaint jamais de la moindre tracasserie qui peut lui arriver. Une femme qui se rend tous les jours au bureau à la même heure, sans la moindre minute de retard, qui va prendre ses cafés à dix heures pétantes le matin, à quinze heures trente l'après-midi. Une fée dont les seuls trajets se résument au métro-boulot-dodo. Une femme qui prépare le repas chaque soir pendant que son conjoint joue à des parties de cartes en ligne ou à Fortnite, et qui récure l'appartement de fond en compte le mercredi et le dimanche.

BOURREAU DES COEURS - TOME 1 - Le BourreauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant