Justine veut commander un deuxième café mais je décline. Elle me fait alors les gros yeux et me rappelle que c'est à son tour de payer sa tournée. À d'autres ! Je sais très bien qu'elle a quelque chose à me dire. J'accepte donc mais prends un chocolat chaud cette fois-ci.
— Je sais que ce n'est pas ton truc, mais j'ai pensé à quelque chose pour toi, dit-elle.
Je suis trop forte, me dis-je avant de demander :
— De quoi s'agit-il ? Après tout, ça me coûte rien de l'entendre.
Je n'ai pas besoin d'être perspicace pour deviner qu'elle a certainement dégoté un nouveau mec à me présenter. Un ami d'un ami de sa cousine, quelque chose comme ça. Ça ne m'intéresse pas, mais ça lui fera plaisir. J'en arrive même à croire que mon célibat lui pèse plus qu'à moi.
Je m'accoude à la table et vient reposer ma tête dans la paume de ma main. Je suis prête à écouter mais il ne faut pas compter sur moi pour simuler de l'intérêt. Ma gentillesse a ses limites tout de même.
J'imagine l'enthousiasme que je dégage ainsi. Des épaules voutées par le poids de mille fardeaux. Cela me fait sourire et Justine prend apparemment ma réaction pour de la curiosité enflammée.
— Une appli de rencontre ! Je sais, je sais bien que ça ne t'emballe pas vraiment, ajoute-t-elle précipitamment. Mais comme tu le dis, ça ne te coûte rien d'essayer. Tu pourras faire des rencontres de chez toi et tu pourras même le faire de ton canapé.
Elle se fait sérieuse avant d'ajouter.
— Je crois sincèrement que c'est l'idéal pour toi.
— En fait tu as raison... répondis-je à sa plus grande surprise. Ça ne m'emballe pas.
J'ai cédé à bon nombre de ses plans vraiment foireux, mais je ne suis pas prête de m'incliner ce coup-ci. Mon visage tendu exprime toute ma négation d'un léger mouvement de tête de gauche à droite.
N'allez pas croire que j'ai vécu de mauvaises expériences. Ce n'est pas du tout le problème. En réalité je n'ai eu que très peu de relations qui n'ont jamais duré bien longtemps. Le problème quand on regarde des Disney depuis trente ans, c'est qu'on finit par véritablement attendre l'homme parfait. Je crois être sincère dans mes démarches amoureuses et refuse de rester avec un homme pour qui je n'avais pas de profondes attaches.
Il y avait bien quelqu'un de présent dans ma vie, Socrate. C'est mon chat qui d'ailleurs est une femelle. Un bien drôle de nom me direz-vous, mais lorsque je l'ai vue pour la première fois, je n'ai pas réussi à imaginer un autre nom que celui-ci. Une illumination vous dis-je. Je sais qu'elle ne m'en tient pas rigueur cela dit et ça n'a pas l'air de vraiment la perturber. Je pourrais même l'appeler par tous les noms du moment qu'elle mange. Parfois j'envie cette vie si simple. J'aurais du naître chat.
— Fais-moi plaisir, tente de me convaincre Justine.
— Je vais pas parler à des mecs juste pour te faire plaisir quand même... Tu sais très bien comment je suis, continué-je. Je suis incapable de faire semblant. Si je n'ai pas envie ça se ressent tout de suite. Je vois pas comment ça peut fonctionner.
Je n'ai pas sa capacité à feindre quoique ce soit. Le moindre pet de travers se voit à ma tête. Malheureusement pour moi, je sens que Justine n'est pas prête à renoncer pour si peu.
— Je te demande juste, pour le moment, d'installer l'application et de te créer un profil. C'est tout ! Après, j'accepterai que tu supprimes tout si tu ne veux pas continuer, promis.
— Trop aimable, je te remercie.
Mais je sens mes résistances commencer à faiblir. Elle avait tout manigancé, j'en suis certaine ! Je ne me sens pas en force dans un endroit pareil et elle le savait.
Que puis-je bien faire face à la meilleure des amies ? Elle me connait comme ma propre mère, voire même mieux. Décidément, l'idée d'un complot entre elles me paraît de moins en moins saugrenue...
Je passe doucement ma main sur mon front, comme pour apaiser cette petite gêne à l'idée de ce que je vais faire. Finalement je cède et lui tends mon téléphone avec le sourire de celle qui a la défaite modeste.
— Allez, t'as gagné ! Fais-toi plaisir.
Triomphante, Justine saisit mon téléphone et le déverrouille. De ses longs doigts manucurés, elle pianote sur l'écran et me télécharge l'application.
— Ça s'appelle Tinbear, regarde c'est ça, dit-elle en me montrant le logo de l'application. Voilà, c'est installé. Tant que j'y suis je vais te faire ton profil. Je veux pas te voir raconter que t'as un chat et que tu regardes des Disney à longueur de temps. Désolé ma belle, mais c'est déprimant.
Je cache mon malaise en buvant la fin de mon chocolat chaud. C'est exactement ce que j'aurais mis.
— T'as une belle photo de toi ? Faut que tu sois bonne, mais pas vulgaire, dit-elle en se mettant à chercher parmi mes photos. Attend mais t'as que des photos de Socrate... Sérieusement t'as combien de photos d'elle ? Ce sont toutes les mêmes !
— Donne-moi ça, lui dis-je en récupérant mon téléphone. T'es dans l'album de Socrate en même temps. Et sache que ma chatte est photogénique, j'y peux rien. Et si tu regardes bien, elle n'a pas la même expression sur les photos. C'est subtil, mais ce ne sont pas les mêmes.
Je vais dans l'album où je range toutes les photos de moi. Il est bien moins fourni que celui de Socrate mais je pense que Justine y trouvera son bonheur.
— Elles sont là, regarde.
Elle récupère le téléphone et semble satisfaite. Un large sourire étire ses lèvres, illuminant son visage. Ses yeux brillent d'une lueur particulière, empreinte de contentement et de fierté. Décidément, il lui en faut peu. Je ne savais pas qu'une photo de moi pouvait avoir de tels effets.
— Pour le moment, ne mets qu'une seule photo. Sinon tu auras l'air désespérée à vouloir te montrer sous tous les angles.
Je lève le pouce avec assurance, exprimant mon accord d'un geste à la fois simple et significatif.
— Bien cheffe !
— Maintenant, on passe à la description. Il faut en dire suffisamment peu pour donner envie de te parler... Laisse-moi réfléchir.
Ça tombe bien, je n'avais nulle intention d'interférer. À court d'inspiration, elle me regarde dans l'espoir de trouver ce qu'elle cherche. Subitement, son expression change et c'est l'illumination. Je lui fais l'effet d'une vraie muse.
Avec frénésie, elle se met de nouveau à pianoter et ce n'est qu'une fois terminé qu'elle relève la tête.
— Écoute ça « Aussi adroite qu'un chat dans une boutique de porcelaine... » Ça c'est la petite référence pour Socrate, je me suis dit que ça te ferait plaisir, ajoute-t-elle avant de poursuivre. « Cette délicieuse maladresse me rend aussi bien agaçante qu'attachante. Je suis à la recherche de celui qui saura lire entre les lignes de mes pas maladroits. »
J'écoute ma propre description la bouche grande ouverte. Si je résume, ou plutôt si je me résume, je ne suis que maladresse.
— OK... en gros je suis gauche.
— Non, enfin si bien-sûr, mais l'idée est de te rendre mignonne, dit-elle peu sûre des mots choisis. Regarde Socrate ! Elle fait tout tomber et pourtant elle est mignonne. Toi c'est un peu pareil... En plus les hommes aiment le côté fragile des femmes.
— Très bien, donc il faut trouver celui qui est capable de supporter, c'est ça ?
— Exactement, il aimera la vraie Sarah !
Reste plus qu'à voir sur quels drôles d'énergumènes j'allais tomber...
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Mon nom est Sarah
RomanceSarah se retrouve à devoir sortir de sa zone de confort le jour où sa meilleure amie lui installe une application de rencontre et qu'elle y fait la connaissance d'un homme. Sarah et son mystérieux prétendant vont s'engager dans une relation semée d'...