Chapitre 34 - L'amour est comme un jardin

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Quoi qu'elle ait pu concocter, je le lui dois bien.


J'ai comme une impression de déjà-vu, assise dans la voiture de Justine qui m'emmène pour une affaire concernant Jérémy. Je ne sais pas ce qu'elle a derrière la tête, mais elle m'a tout l'air déterminée à le faire. Elle n'a pas voulu m'en dire davantage mais au bout d'un moment je reconnais la route. C'est celle qui mène chez ma grand-mère, Mémé Jo.

Au départ je me dis que ce n'est qu'une coïncidence mais chaque virage nous mène toujours un peu plus chez elle. Lorsque cela ne peut plus être un hasard, je demande.

- On va chez Mémé Jo ?

Justine ne répond pas. Cependant son silence répond à ma question. Que voulez-vous, c'est savoir entendre même dans le silence quand on discute avec sa meilleure amie.

- Il est tard, tu as vu l'heure ? C'est quoi cette histoire !

- T'inquiète, elle sait qu'on vient.

À quoi joue-t-elle ? Je la vois prendre son téléphone et c'est alors que je comprends. Elle l'avait appelé après avoir raccroché avec moi et ma gentille grand-mère ne pouvait avoir refusé de me venir en aide.

Elle gare la voiture dans la cour. La petite maison de Mémé Jo semble endormie, mais derrière les volets fermés on peut apercevoir un filet de lumière qui trahit sa présence. Comme tant de fois, Justine ouvre la porte et m'invite à passer la première. À défaut d'avoir présenté un garçon à ma grand-mère par le passé, j'allais lui rendre visite en compagnie de Justine. Aujourd'hui, ces deux femmes se connaissent si bien que Justine fait un peu partie de la famille.

Je retrouve ma grand-mère assise dans son fauteuil, fatiguée par le poids du temps. Je suis parcouru par un frisson de culpabilité car je sais qu'elle se couche tôt habituellement.

- Bonsoir Mémé, dis-je embarrassée.

- Ah, ma petit Sarah, fit-elle en se levant de son fauteuil.

Elle voit à mon visage ma culpabilité.

- Te fais pas de bile ma chérie, je suis heureuse de te voir.

Elle ouvre ses bras m'invitant à venir me blottir contre elle. Ce que je fais sans plus attendre. Ses bras se referment autour de moi et m'apportent aussitôt du réconfort. Je respire son odeur, combinaison réconfortante et nostalgique. Une légère fragrance de lavande mélangée à une touche de rose. Je sens également les effluves de crème pour ses mains que je devine douces.

Toutes ces petites choses m'évoquent la douceur du passé et la chaleur des souvenirs partagés à ses côtés, lorsque je n'étais encore qu'une petite fille. Plongée dans sa tendresse et sa bienveillance, je sens les larmes me monter aux yeux.

- Asseyons-nous, m'invite-t-elle.

Je l'aide tout d'abord à s'installer confortablement puis je m'assoie à côté sans oublier de nous couvrir les genoux de son plaid qui sent la lessive.

- Tu as de la chance d'avoir une amie comme Justine, me dit-elle pour commencer.

Je tourne mon regard vers la concernée et lui adresse un sourire reconnaissant. Justine reste à l'écart dans le but de nous laisser, à ma grand-mère et moi, notre bulle d'intimité.

- Dis-moi ce qui te chagrine autant.

Je soupire profondément et me lance à l'eau. Tout cela me rappelle ces après-midi passés auprès d'elle. Je lui racontais mes mésaventures, mes amitiés naissantes et fracassantes. Elle a toujours été de bon conseil avec moi. Tout me semble identique et en même temps si différent. Je me rappelle de mon grand-père, qui comme Justine, se tenait toujours en retrait pour « ne pas se mêler des histoires de femmes », nous disait-il.

- C'est à propos d'un garçon mémé.

Celle-ci m'adresse un sourire pour me faire comprendre qu'elle n'est pas dupe, n'en déplaise à ceux qui ne la perçoivent que comme une vieille femme. Baignant dans la confidence, je continue mes explications.

- Quand je l'ai rencontré, j'ai dit que je m'appelais Léa. C'était pour me protéger, je ne croyais pas que... je finirais par tomber amoureuse de lui. Maintenant, il m'ignore totalement. Tout est perdu, je dois simplement abandonner.

Sa réponse lui vient aussitôt sans même avoir besoin d'y réfléchir. J'ai toujours admiré cela chez elle. Jamais elle n'était prise au dépourvu et avait toujours les mots qu'il fallait. Justine le sait et c'est pourquoi elle a pensé à mémé Jo.

- J'ai toujours vu l'amour comme un jardin. Parfois on y fait pousser des mauvaises herbes, d'autres fois elles viennent par elles-mêmes. De la mauvaise herbe, il y en a toujours eu et il y en aura toujours ! Mais cela ne veut pas dire que le jardin est perdu pour autant. Certains le laissent à l'abandon et c'est pas beau à voir mais il n'est jamais trop tard pour arracher ces mauvaises herbes et replanter de belles fleurs.

Je trouve que c'est une belle façon de dire qu'il nous arrive de faire de la merde. Ce que veut dire ma mémé, c'est qu'il est toujours possible d'agir pour améliorer les choses. Au fond, c'est un peu ce que me disait déjà Harry la dernière fois.

- Et si malgré tout il ne veut pas revenir vers moi ?

J'ai beau vouloir désherber, lui parler ou m'excuser, bref tout ce que vous voulez, tout ne dépend pas que de moi. Cette idée me fait remonter les larmes aux yeux. Il est loin le temps où je faisais tout pour le repousser. S'il y avait bien une chose que j'avais réussi à faire, c'était bien ça...

Est-ce un mal d'avoir voulu me protéger comme je l'ai fait ? Je ne le pense pas. Cependant, il y a un moment où il faut savoir réagir et faire ce qui est bien et je n'ai pas su saisir ce moment. Comme dirait mémé Jo, j'ai laissé les mauvaises herbes prendre de la hauteur et désormais il m'est impossible d'y mettre un pied sans que je ne m'y perde.

Mémé Jo m'explique alors d'un ton calme :

- Alors tu sauras que tu as essayé, que tu as donné ton coeur sans réserve. Mais il arrive parfois que, malgré nos efforts, les choses ne sont pas destinées à être. Ce n'est pas un échec, cela dit ! Si tu fais tout ce qui est en ton pouvoir, ce n'est pas un échec.

Elle s'arrête au moment de voir qu'une larme apparaît. Avant qu'elle ne coule, mémé Jo vient l'essuyer.

- Cela signifie qu'une nouvelle route t'attend, une route peut-être encore plus belle.

Nous n'avons pas davantage usé du temps de ma grand-mère. Je la voyais se fatiguer et elle avait dépassé depuis bien longtemps l'heure à laquelle elle se couchait en temps normal.

Dans la voiture, je continue de fixer Justine d'un air désespéré. Le message était passé, je n'ai pas le droit de baisser les bras avant de tout avoir tenté.

- Je ne vais pas attendre indéfiniment à la barrière qu'il daigne me reparler, tu ne crois pas ?

Justine me lance un sourire énigmatique. Elle replace un mèche de cheveu derrière son oreille et s'empare d'une chemise dossier en carton qu'elle manipule avec cet air malicieux que je lui connais si bien.

- Qu'est-ce que c'est ?

- La prochaine étape, me répond-elle.

Mon nom est SarahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant