Chapitre 51 - Machination

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J'ai comme une impression de déjà-vu. Je reconnaîtrais cette voix entre mille autres, mais ça ne pouvait être lui. Pas ici.


 Jérémy pensait déjà à me présenter Nina alors que je ne m'étais pas encore posé la question concernant ma propre famille. J'ai toujours été d'une grande pudeur sans vraiment savoir pourquoi, trouvant très gênant le moment où l'on annonçait avoir trouvé quelqu'un. Maintenant que j'y pense, plus un célibat est long, plus cela me semble difficile. Depuis des années maintenant, absolument tout le monde dans ma famille attendait que je lui présente un homme, décuplant toujours plus l'appréhension de ce moment.

Vous comprenez peut-être pourquoi l'idée ne m'avait pas encore traversé l'esprit, mais aussi les raisons qui me poussent à vouloir garder cette relation rien que pour moi.

Mais la question ne se pose plus. Mon regard se pose sur cette main, remonte le long du bras pour dévisager Nathan, surpris et étonné de me trouver là. Et moi donc ! Je mets un moment à me rendre compte que Prudence se tient derrière, aux côtés de Mamou et de mon beau-père. J'ai l'impression d'être projetée sous une douche froide et me décompose sur place.

— Fais pas cette tête, lâche Nathan, un sourire de plus en plus idiot sur les lèvres.

Il se met à rire de me voir ainsi et me fait la bise comme si nous venions d'arriver chez lui pour boire un café. Je reste bouche bée, sans parvenir à articuler ne serait-ce qu'un bonjour. J'ose à peine me retourner vers Jérémy, comme si ne pas le regarder allait le faire disparaître.

C'est sans compter sur Nathan qui lui tend une main.

— Enchanté, moi c'est Nathan !

— De même, répond Jérémy, qui ne comprend pas très bien ce qui se passe, moi c'est Jérémy.

Je sors de ma torpeur au moment où tout le monde vient vers nous pour nous embrasser.

— Mais quelle surprise, Sarah ! s'exclame Mamou.

En effet, il n'y a pas d'autres mots. Pour une surprise, c'en est une !

— Tu nous présentes pas ce bel homme ? poursuit-elle en m'adressant un clin d'œil.

— Maman ! protesté-je.

Je me ressaisis enfin, prends une inspiration et me jette à l'eau.

— Je vous présente Jérémy, mon petit ami, dis-je en me rapprochant de lui.

Quand Jérémy comprend qui sont ces inconnus survenant de nulle part, je m'étonne de le voir aussi décontracté. J'ai même l'impression qu'il est heureux.

— Voici ma mère, mon beau-père, mon petit frère Nathan qui s'est déjà présenté, et Prudence, énuméré-je en les désignant tour à tour.

C'est comme plonger dans des eaux froides, une fois mouillée autant s'y jeter entièrement.

Il se produit alors quelque chose d'étrange. J'ai l'impression d'être une simple spectatrice de ce que je vois. Je vois Jérémy féliciter mon frère et Prudence pour ce bébé à venir, le ventre arrondi ne laissant place à aucun doute. Il est resplendissant dans son rôle et balaie toutes mes craintes d'un seul coup.

Je comprends seulement lorsque cela se produit que je suis heureuse. Il me suffisait d'être aux côtés de Jérémy pour surmonter mes doutes et avancer. Avec lui, je me sens comblée et prête à tout affronter.

Nous profitons donc de cet heureux hasard pour nous balader tous ensemble au bord de la plage. Je reste auprès de Jérémy qui répond avec plaisir aux questions de Nathan. « Depuis combien de temps êtes-vous ensemble ? » ou bien « C'est du sérieux entre vous ? ». À chacune de ses questions, je lâche un soupir et ne peux m'empêcher de lever les yeux. Cela amuse Jérémy qui répond avec le plus grand sérieux.

Discrètement, Mamou me tire par le bras et m'emmène à l'écart.

— Je le savais, m'avoue-t-elle, c'est pour ça que je t'avais pris un coffret pour deux à Noël.

J'ai tout de même un doute quant à son intuition. À cette époque-là, Jérémy n'était pour moi qu'un inconnu sur une application de rencontre.

Le coffret... Je me tourne vers Mamou et lui adresse un regard accusateur. Rien de tout cela n'est une coïncidence. Elle avait tout orchestré, j'en suis certaine.

— Quoi ? demande-t-elle avec innocence.

— C'est trop gros pour un hasard, vous saviez que j'étais ici, pas vrai ?

Démasquée, elle se met à rire comme une gamine.

— Pas exactement, je savais que tu étais partie dans le coin. Par contre, je n'étais pas sûre de te croiser. La réservation n'indiquait pas vos activités non plus...

Cela confirme ce que je pensais, Mamou a reçu un mail au moment où l'on a utilisé son coffret cadeau. Pourquoi ne suis-je même pas étonnée de la savoir capable de partir sur un coup de tête pour savoir avec qui je partais ? Après tout, ce talent de filature que j'ai vient bien de quelque part.

Fièrement, elle m'explique la façon dont elle s'y est prise.

— Au départ, je voulais réserver une yourte, comme toi. Puis je me suis dit, quand même ce serait assez envahissant. Donc j'ai cherché ce qu'il y avait à faire dans le coin et ce qui revenait sans cesse, c'était ce petit coin aux huîtres. Alors, on a décidé d'y faire un tour.

— Les autres sont de la manigance ?

— Bien sûr que non, dit-elle, amusée par ma question. J'ai dû convaincre Nathan et Prudence, mais ils ont fini par céder.

Maman... Pourquoi ne suis-je même pas surprise ? Ai-je oublié que tu gagnais absolument toutes tes batailles ? Tu es telle un héraut sur un champ de bataille, qui arrive pour renverser la situation et apporter la victoire.

Sans que je m'y attende, elle me prend dans ses bras et me glisse à l'oreille :

— Je suis tellement heureuse pour toi, Sarah.

Je suis incapable de résister à ma mère, ni de lui en vouloir pour quoi que ce soit. Je pose ma tête sur son épaule, me rappelant le temps où j'étais une petite fille qui ressentait une profonde sensation de sécurité, comme si le monde extérieur, avec toutes ses incertitudes et ses peurs, ne pouvait plus m'atteindre.

En fin de matinée, ma mère nous a tous invités au restaurant pour fêter cette drôle de coïncidence, comme elle le dit si bien. Malgré les protestations de chacun, qui refusait de se laisser inviter, elle a insisté, rejetant toute négociation. Et devinez quoi, elle a obtenu gain de cause. Je vous le disais bien, il est impossible de lutter contre Mamou.

Quand nous nous sommes retrouvés tous ensemble autour d'une table, cela me m'a semblé si irréel de voir Jérémy rire et discuter avec ma famille. J'ai mis un certain temps à m'y habituer et accepter que tout ceci se produisait bien.

Nos routes se sont séparées à la fin du déjeuner. Mamou nous a bien fait comprendre qu'elle tenait à nous laisser notre intimité et profiter de cette journée, rien que Jérémy et moi. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire discrètement. C'est culotté de vouloir nous faire gober ça. Et le pire, c'est qu'elle y arrivait ! 

Mon nom est SarahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant