Chapitre 50 - L'huitre du matin

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Alors que nous quittons le restaurant et marchons main dans la main sous le ciel maintenant dégagé et étoilé, je sens une douce sérénité m'envahir. Je sais que rien n'est facile, mais avec Jérémy à mes côtés, je suis prête à affronter l'avenir et remporter chaque bataille qui se présentera. Merci, Mamou, de m'avoir montré le chemin.


 Aucune bataille, si difficile soit-elle, n'est aussi éprouvante que la nuit passée dans notre yourte. Il y a des ouvertures dans tous les coins, ouvrant la porte aux petits invités indésirables. Combien d'araignées ai-je retrouvées suspendues juste au-dessus de nos têtes ? Combien de bestioles dont j'ignore le nom se sont glissées sur nos draps ? Des draps qui, au passage, portent cette odeur de renfermé et d'humidité. Repenser à tout cela me provoque un frisson incontrôlable. Malgré la situation, je dois bien reconnaître avoir été amusée de découvrir un Jérémy peu serein devant ce régiment sans fin de petites bêtes.

Dès la première heure, nous nous levons et nous précipitons aux douches. L'eau chaude efface les traumatismes de notre nuit en un rien de temps. À peine sortis des douches, le gérant arrive à notre rencontre. Comme la veille, il tient un panier contre lui. — Bonjour les voisins !

Nous le saluons sans toutefois partager sa gaieté.

— Alors, comment s'est passée votre nuit ? veut-il savoir.

Mal, très mal, ai-je envie de lui répondre. Mon regard croise celui de Jérémy et nous décidons de ne pas briser la bonne humeur de notre hôte.

— Merveilleux ! Ça... ça change de la ville, dis-je avec un sourire forcé.

Jérémy se tient à mes côtés sans dire un mot tout en hochant la tête pour approuver mes dires. Cet homme semble tellement heureux de nous faire partager cette expérience que je ne peux lui avouer avoir passé une nuit terrible.

Satisfait, il nous tend son panier, nous précisant :

— Pour votre petit-déjeuner.

— C'est très aimable, mais nous comptions manger en ville ce matin, décline Jérémy d'un air navré.

La seule chose que nous désirons, c'est fuir cet endroit. Encore un souvenir que nous ne risquons pas d'oublier.

Au moment de partir, nous remercions notre hôte et allons à la voiture. À peine celle-ci démarrée, il vient vers nous d'un pas pressé pour nous conseiller un petit village à visiter. Apparemment, il est réputé pour ses huîtres et on peut s'y rendre à pied en longeant les falaises. De nouveaux remerciements et cette fois-ci, on part pour de bon. On le voit nous faire de grands signes pour nous souhaiter une bonne route dans le rétroviseur. En retour, Jérémy lui adresse deux coups de klaxon.

— Alors ? On se laisse tenter par les huîtres ?

Jérémy regarde la route et je n'arrive pas à voir s'il plaisante ou non. J'ai déjà mangé des huîtres, un incontournable pour ces fêtes de fin d'année qui me sont si chères... J'aime en manger une ou deux, pour marquer l'occasion, mais sans pour autant en courir après. Je me rappelle alors avoir passé une nuit dans une yourte infestée d'insectes. Manger une huître pour le réveil me semble être un jeu d'enfant.

— Je meurs de faim !

Nous entrons le nom du village dans l'application de notre téléphone et suivons ses indications. Béni soit le GPS ! J'ignore comment nos parents pouvaient s'en sortir avec leur carte. Il aurait suffi d'un virage pour ne plus savoir dans quel sens la tenir.

— Vous êtes arrivés à destination, indique la voix robotique du téléphone.

Nous nous garons à la première place qui se présente à nous.

Le village, perché sur les hauteurs de la côte, offre un panorama à couper le souffle. Ses ruelles étroites et pavées serpentent entre les maisons en pierre aux volets colorés. Pour atteindre la mer, où se trouvent nos huîtres, il nous faut emprunter un sentier sinueux qui descend le long des falaises imposantes. Le chemin escarpé est bordé de buissons de fougères, offrant une vue spectaculaire sur l'océan calme en contrebas. Prise de vertige, je m'accroche au bras de Jérémy. Les cris des mouettes nous accompagnent durant la descente, tandis que l'air salin se fait de plus en plus présent au fur et à mesure que nous approchons du rivage.

En bas, une sorte de petit marché se dévoile, encadré par les hautes falaises blanches typiques de la région. Étonnamment, la place grouille de passants qui s'offrent des caisses d'huîtres. La plage en contrebas est jonchée de coquilles d'huîtres vides. On voit un couple de personnes âgées assis en train de déguster ces fameux mollusques marins, puis jeter les coquilles sur la plage. Apparemment, c'est une coutume et il faut reconnaître que cela accentue le charme de cet endroit atypique.

— Deux douzaines, s'il vous plaît, demande Jérémy à un vendeur.

Ce dernier s'empare des huîtres une à une pour les ouvrir et les disposer dans deux assiettes. J'insiste pour les payer, Jérémy ayant payé le restaurant la veille, et nous allons nous installer au même endroit que ce couple de petits vieux.

— Bon appétit, me lance-t-il avant de gober une première huître.

J'en prends une et la lève de la même façon qu'on tend une coupe de champagne pour trinquer et l'avale d'un seul coup. Je m'attendais à être écœurée, mais je suis surprise d'apprécier la salinité qui me rappelle le goût de la mer. Oui, comme quand on boit la tasse à la différence que là, je trouve ça agréable. Après l'avoir avalée, un goût minéral me reste en bouche. Nous jetons au fur et à mesure nos coquilles avec l'accord du vieil homme nous ayant vendu nos huîtres. À ma plus grande surprise, nous terminons chacun notre assiette. C'est une curieuse expérience mais fort plaisante ! Nous avons chacun une moitié de citron que nous utilisons pour nous rincer les doigts.

Il y a du monde tout autour de nous et j'ai pourtant l'impression de n'être qu'avec lui. Jérémy regarde l'horizon, perdu dans ses pensées tandis que je me perds quant à moi dans la contemplation de cet homme qui occupe chaque jour davantage de place dans mon cœur. C'est une douce sensation que de sentir son être s'attacher de la sorte. Je n'avais jamais véritablement saisi le sens de l'amour avant lui. Je vous accorde que c'est niais mais le jour où cela vous arrive, vous le comprenez.

Une main se pose sur mon épaule, faisant éclater la bulle dans laquelle je me suis enveloppée. Qui ose interrompre ce moment ? Mais avant que je me retourne pour foudroyer le coupable, une voix familière s'adresse à moi :

— Sarah ?

J'ai comme une impression de déjà-vu. Je reconnaîtrais cette voix entre mille autres, mais ça ne pouvait être lui. Pas ici.

Mon nom est SarahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant