Chapitre 45 - Impuissance des mots

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Nous avons tous deux conscience d'avoir assisté à un miracle. 

Il n'était pas certain que Socrate accepte la présence de Jérémy. Je vous disais ne pas être jalouse, mais seulement possessive, ce qui n'est pas le cas de ma chère chatte. Bien qu'il y en ait peu, elle n'a jamais toléré de simples amis à l'exception de Justine, qui, je dirais, occupe le rôle de tata.

Je me souviens d'une fois où nous avions invité une camarade de la fac, Coralie. Sitôt ses études terminées, celle-ci était partie enseigner à l'étranger. Elle était revenue une fois et avait souhaité nous retrouver le temps d'une soirée. Malgré la relation quasi exclusive que je partage avec Justine, nous avions accepté avec grand plaisir.

Ce plaisir ne fut pas partagé par Socrate, qui passa sa soirée à fixer Coralie du regard, comme dans l'espoir de la désintégrer sur place. Coralie n'avait pu s'en approcher malgré ses tentatives. Quant à espérer un peu de proximité avec moi, c'était peine perdue. Socrate n'avait cessé de me coller pour bien faire comprendre que j'étais sa propriété à elle et à personne d'autre. À contre-cœur, j'avais dû l'isoler pour passer une soirée sans incident.

Bref, maintenant vous comprenez pourquoi je parle de miracle avec Jérémy.

Comme le font les jeunes couples, nous avons cuisiné ensemble. Il a rapidement découvert mon absence de talent dans ce domaine. Ayant Nina, Jérémy ne maîtrise quant à lui que les bases. Ce moment, en apparence anodin, a été inoubliable. C'est la magie des débuts. Chaque instant se pare d'une aura féerique. J'ai finalement laissé Jérémy gérer la cuisine me tenant au rôle de commis qui m'est allé à ravir. De toute ma vie, jamais je n'ai vu ma cuisine dans un si piteux état.

C'est une image merveilleuse que je garderai précieusement au fond de ma mémoire.

Nous sommes tous les deux assis dans le canapé, un plateau repas sur les genoux. Les pâtes à la carbonara fument encore, et l'odeur délicieuse emplit la pièce. Jérémy me regarde avec un sourire complice, alors que je me penche pour attraper une fourchette.

Ce moment est parfait dans sa simplicité. Nous sommes si à l'aise l'un avec l'autre que je ne ressens même pas l'angoisse habituelle de tâcher mon canapé avec un peu de sauce. C'est un signe clair pour moi : je suis bien aux côtés de Jérémy, détendue et heureuse, savourant chaque instant de notre soirée improvisée.

Après avoir pris une première bouchée, Jérémy nous félicite :

— On a fait du bon travail, c'est délicieux.

Je goute à mon tour et trouve que nous avons été très généreux avec le sel, mais je confirme d'un hochement de tête.

— Tu as surtout fait du bon travail, le mérite te revient, rectifié-je.

Difficile de me contredire, comme souvent d'ailleurs, et Jérémy m'adresse un sourire amusé, son regard reflétant le souvenir de mes mésaventures en cuisine.

Nous parlons tant et si bien que notre assiette refroidit avant que nous ayons le temps de la terminer. Nous avons tant à découvrir l'un de l'autre, tant à apprendre sur nous. Alors que nos assiettes sont maintenant vides et que nos discussions continuent de s'enchaîner inlassablement, je sens que Jérémy veut me dire quelque chose. Je feins de ne pas m'en apercevoir mais plus le temps passe et plus cette impression s'accentue.

Je décide de lui accorder un moment tout seul, me disant que cela l'aiderait peut-être. Je débarrasse donc les plateaux et prends mon temps pour tout mettre dans le lave-vaisselle. Quand je reviens à lui, j'ai un plaid volumineux et d'une douceur exquise entre les bras. Je me faufile contre lui et nous recouvre. Nous restons ainsi sans parler, profitant simplement de ce moment qui nous est offert.

J'inspire longuement, m'imprégnant de son odeur qui m'a tant manqué. Il finit par presser ses bras autour de moi me donnant l'impression de craindre que je m'évapore comme un nuage de fumée. C'est alors que je comprends.

Dois-je le laisser aborder le sujet ? J'ai peur de brûler les étapes et de précipiter la discussion. Pensive à mon tour, je ne sais que faire.

Je me suis promis de tout dire à Jérémy afin qu'il n'y ai aucun non-dits entre nous. Aussi, je me suis toujours dit qu'il n'était pas sain d'avoir des sujets tabous dans un couple. C'est pour cette raison que je me décide à me lancer.

— Harry m'a expliqué, dis-je dans un murmure.

Je n'ai pas besoin d'en dire davantage pour que Jérémy sache où je veux en venir.

— Je suis désolé de ne pas t'en avoir parlé avant.

Sans savoir pourquoi, ses excuses m'attristent. Je me dégage de son emprise pour lui faire face. Nos visages sont proches, je peux même sentir son souffle. Délicatement, je pose une main sur son visage.

— Tu n'as pas à t'excuser, expliqué-je pour le rassurer.

J'aimerais lui glisser des mots réconfortants, mais curieusement, j'en suis incapable. J'aimerais lui dire qu'elle fera toujours partie de son histoire, mais que c'est notre présent et notre avenir qui comptent aujourd'hui. Mais ne serait-ce pas minimiser ses émotions ? Comment mes mots pourraient-ils lui apporter du réconfort alors que je ne peux concevoir ce qu'il a traversé ?

Au lieu de parler, je me penche vers lui pour l'embrasser avec une tendresse débordante. Je veux qu'il comprenne que j'accepte la situation telle qu'elle est. Que ce baiser lui fasse prendre conscience qu'il n'est pas question pour moi de rejeter l'existence de son ancienne femme. Je veux finalement que ce baiser, plus fort que mille mots, l'accompagne et estompe ses tourments.

Aucun mot ne pourra effacer la culpabilité qu'il éprouve à non seulement refaire sa vie, mais surtout à être heureux.

Jérémy m'embrasse d'un regard empli de reconnaissance. Le visage apaisé, il glisse sa main dans mes cheveux. 

Mon nom est SarahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant