Mon nom est Sarah

Chapitre 49 - L'avenir

Quand, enfin, nous nous retrouvons tous les deux dans notre yourte d'une nuit, Jérémy et moi restons silencieux. Sans avoir besoin de nous concerter, nous avons gardé notre sérieux le temps que le gérant s'éloigne avant de nous mettre à rire.

Après nous être installés, ce qui a été plus que rapide, nous avons pris la voiture pour passer la fin de journée en bord de mer. Étant hors saison, nous nous sommes retrouvés seuls à laisser nos traces dans le sable humide et tassé. Nous avons marché main dans la main, les courants d'air marin semblant former une bulle autour de nous, comme s'il n'y avait que nous deux.

La nuit commence à tomber doucement. Malheureusement, nous n'avons pas droit à un sublime coucher de soleil se reflétant sur la mer calme. Cela me rappelle une chanson d'Édith Piaf sur le ciel de Paris : « Quand il pleut sur Paris, c'est qu'il est malheureux quand il est trop jaloux de ses millions d'amants ». Il semblerait que le ciel de Normandie soit jaloux de notre seul amour et veuille nous priver de ses rayons.

Je commence à avoir froid, et Jérémy me propose d'aller chercher un restaurant pour manger. Il se redresse avant moi et me tend une main que je saisis pour me relever. Je secoue vivement la serviette et la range dans mon petit sac en toile.

Il y a quelques passants dans les rues, des habitants plus que des touristes. Nous remontons la rue principale, nous arrêtant devant chaque restaurant que nous croisons. Je ne suis pas difficile quand il s'agit de nourriture, un point commun que je partage avec Socrate. Je dois cela à Mamou, qui m'obligeait à rester devant mon assiette pendant des heures. Combien de soirées ai-je passées à attendre que le contenu de mon assiette disparaisse de lui-même ? Cela ne s'est jamais produit, évidemment. Parfois, je croyais gagner la bataille lorsque Mamou me retirait l'assiette et m'envoyait au lit. En réalité, c'était pour me la servir le matin en guise de petit-déjeuner. Et vous savez quoi ? Je terminais mon assiette, car ma mère ne perdait aucune bataille.

Tout compte fait, j'étais une enfant qui jugeait les assiettes par leur aspect. Je disais ne pas aimer par délit de faciès culinaire. Finalement, je goûtais et aimais ce qui m'était servi, mais pour rien au monde je ne l'avouais. Même si je perdais mes guerres, j'avais une fierté solide à défendre.

Contrairement à moi, Jérémy se montre exigeant quant au restaurant où il veut m'emmener. Amusée, je l'observe lire les menus et froncer les sourcils. Je crois qu'il veut rendre cette soirée spéciale.

Nous nous arrêtons devant tous les restaurants de la rue pour ne pas passer à côté du meilleur, et c'est sur le dernier que le choix de Jérémy s'arrête.

— Tu veux manger ici ? me demande-t-il. 

— Il m'a l'air très bon, dis-je avec ferveur.

N'importe quel restaurant aurait fait l'affaire, mais Jérémy est heureux de me voir approuver son choix.

Nous nous installons dans le restaurant, une petit table près de la fenêtre avec vue sur la mer sombre. Nous passons notre commande et profitons du moment de calme avant que les plats n'arrivent.

— C'est vraiment agréable ici, fais-je remarquer en regardant autour de nous.

— Oui, je suis content que tu aimes, répond Jérémy en souriant.

Un silence confortable s'installe, mais je sens que Jérémy a quelque chose à me dire. Je lui prends la main pour l'inviter à m'en parler.

— Tu sais, depuis que nous nous voyons, je me sens incroyablement heureux.

Ces quelques mots font battre mon cœur un peu plus vite. Jérémy poursuit :

— Il y a quelque chose dont j'aimerais te parler. J'ai l'impression que tu m'as redonné goût à la vie, mais il y a une chose que je n'ai pas encore abordée et qui est importante pour moi.

— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je, légèrement inquiète.

— C'est Nina. Elle rentre bientôt et je ne sais pas comment lui présenter les choses. C'est la première fois depuis... dit-il sans terminer sa phrase.

Je hoche la tête, comprenant la situation. Je ne peux m'empêcher de me dire que je suis la seule pour qui Jérémy est prêt à présenter sa fille.

— Je comprends. Nous devons faire les choses correctement pour elle, dis-je doucement en lui tenant toujours la main.

— Exactement, répond-il avec un sourire de gratitude.

— On peut prendre notre temps.

— J'ai tellement envie de te présenter à elle, de partager le bonheur de t'avoir maintenant dans nos vies.

Touchée par ses confidences, je suis submergée par des émotions nouvelles. L'amour, la reconnaissance...

Il y a quelques mois encore, je ne concevais pas de tomber amoureuse et encore moins d'avoir un enfant dans ma vie. Avec Jérémy, je vois mes perspectives d'avenir bouleversées. Je me suis faite à l'idée d'avoir besoin de lui désormais, car sans lui, j'ai le sentiment qu'il me manque quelque chose. On parle souvent de moitié et j'ai toujours trouvé ça ridiculement pathétique. Dorénavant, je comprends quand je me sens entière auprès de Jérémy, comme si j'avais enfin ce qui me manquait depuis toujours. Et je me surprends à vouloir connaître Nina, car elle fait partie de Jérémy. Or, pour me sentir entière, j'ai besoin de Jérémy tout entier et cela comprend Nina.

Ce n'est qu'en cet instant que je le réalise pleinement.

— J'attends ce moment avec impatience, avoué-je. Il se présentera de lui-même, laissons les choses se faire naturellement.

À son tour comblé, Jérémy approuve d'un signe de la tête.

— Tu crois que c'était le bon moment de vous présenter quand tu étais dans ma buanderie ?

Nous rions ensemble à l'évocation de ce souvenir.

Notre conversation se poursuit, plus légère désormais, tandis que nous évoquons les détails de notre séjour et des activités à faire dans le coin.

Alors que nous quittons le restaurant et marchons main dans la main sous le ciel maintenant dégagé et étoilé, je sens une douce sérénité m'envahir. Je sais que rien n'est facile, mais avec Jérémy à mes côtés, je suis prête à affronter l'avenir et remporter chaque bataille qui se présentera. Merci, Mamou, de m'avoir montré le chemin.