Chapitre 35 - Terminus, tout le monde descend !

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- Qu'est-ce que c'est ?

- La prochaine étape, me répond-elle.


 Je m'empare de la chemise et regarde à l'intérieur. J'y trouve une simple feuille mais pas n'importe laquelle : la fiche de renseignement de Nina. Je lance un regard interrogateur à Justine qui me répond par son plus beau sourire.

— Donne-moi son adresse, me demande-t-elle.

— Son adresse ? Mais pourq...

Je comprends avant même de finir de ma question.

— Il va me prendre pour une folle ! Tu disais qu'il fallait lui laisser du temps.

— Mémé Jo a raison, il est temps d'aller désherber. Tu as l'occasion de montrer que tu es prête à tout pour lui. Tout est entre tes mains désormais.

— Impossible, d'ailleurs, d'où tu te ballades avec sa fiche de renseignement ?

— Et bien... je me disais qu'elle pourrait nous être utile un jour, me répond-elle d'un air innocent.

La garce, elle avait tout manigancé. Elle savait que mémé Jo réussirait à me convaincre de ne rien lâcher.

Je suis hésitante. Bien sûr que je veux le revoir et tout arranger, mais en réalité, la peur me paralyse. J'ai bien conscience que je joue ma dernière carte et qu'elle est à double tranchant. Soit je le récupère soit je le perds définitivement. Quand on y réfléchit, il y a de quoi me prendre pour une folle à me voir débarquer chez lui, après avoir récupéré en toute illégalité son adresse à l'école.

— Très bien, c'est parti, allons nous occuper de mon jardin.

Ce n'est qu'une image et pourtant je ne peux m'empêcher de me dire que je n'avais pas la main verte. Je préfère voir ça comme un lancer de pièce. Je jouais enfant à pile ou face et c'est exactement ce qu'il se passe. Je me décide à lancer la pièce, le plus haut possible pour ne connaître le résultat que le plus tard possible.

Je donne l'adresse à Justine qui le rentre dans son GPS. Jérémy, nous voilà ! Me dis-je intérieurement.

Evidemment, il n'habite pas loin de l'école, Nina étant inscrite dans son école de secteur. Cette petite virée nocturne me rappelle celles que nous faisions à la fac. Ne me jugez pas pour ce que je vais vous dire, mais il nous arrivait parfois de faire ce que nous appelions des filatures. Quand Justine ou moi avions un petit ami, il nous arrivait parfois de nous garer devant chez lui pour observer ce qu'il se passait.

Avec le recul, je réalise combien nos habitudes pouvaient être terrifiantes.

Nous nous arrêtons devant une petite maison de ville, les lampadaires projettent des ombres longues et inquiétantes sur la rue silencieuse. Justine éteint la voiture et m'envoie regarder la boîte aux lettres. Je sors prenant garde à ne pas trop faire claquer la portière et me déplace sur la pointe des pieds, craignant de le voir surgir à tout instant. Je sais que c'est une idée ridicule car il a probablement autre chose à faire que de guetter en pleine soirée le devant de sa rue. Le fait est que chacun de mes pas me fait l'effet d'un troupeau d'éléphants se déplaçant sans vergogne. J'ai le coeur qui bat à deux cents à l'heure. Avec la chance que j'ai je vais finir par faire un malaise juste devant chez lui.

Après avoir vérifié, je retourne à la voiture en petites foulées précipitées. J'ai l'impression qu'un projecteur s'apprête à me cibler à tout instant. Heureusement pour moi, rien de tout cela ne se produit. Par la fenêtre entrouverte je confirme à Justine que nous sommes arrivés à bonne destination.

Sans prévenir, Justine verrouille sa voiture me laissant par la même occasion seule sur le trottoir. J'ai le réflexe de vouloir ouvrir la portière, mais celle-ci me résiste.

— Qu'est-ce tu fous ? chuchoté-je pour ne pas me faire entendre.

Justine se penche et me chuchote à son tour :

— Pas question que tu fasses machine arrière, c'est le moment de te lancer !

— Déconne pas, ouvre moi ! la supplié-je.

— Non ! Tu vas te défiler.

— Justine, je te jure que je défonce ta vitre !

Ce ne sont que des menaces en l'air, mais la panique me fait dire n'importe quoi. Je me crispe soudainement au son du moteur qui démarre. Je tapote le plus discrètement possible à la fenêtre pour ne pas réveiller le quartier, contenant du mieux que je peux ma frustration de ne pas pouvoir frapper comme une dingue.

— Justine !

— Allez Sarah, je suis avec toi !

Elle commence à démarrer. J'ai l'impression que la voiture fait un boucan de tous les diables. Je m'accroche à la fenêtre, mon coeur battant à tout rompre tandis que Justine, implacable fait rugir le moteur. La voiture semble crier avec moi alors que je murmure désespérément à Justine de ne pas faire ça.

— Lâche ma voiture, me lance Justine.

— Je fais quoi s'il ne veut pas me voir ? Et s'il refuse de me répondre ?

Justine arrête la voiture, réfléchissant à ce cas de figure. D'après son expression, elle ne l'avait pas envisagé.

— Je viendrais te chercher. Mais je te préviens je ne viendrai que si tu as essayé. Et tu sais bien que je le saurai si tu me mens !

Sur ces mots, Justine démarre la voiture et m'abandonne littéralement au milieu de la rue juste devant chez Jérémy. L'idée folle de lui courir après m'effleure mais je sais bien que cela n'est d'aucune utilité. Déjà parce que jamais je ne pourrai la rattraper mais aussi parce que je sais que jamais Justine ne me laisserait grimper. C'est ça d'avoir une meilleure amie, elle ne lâche pas si facilement l'affaire quand il s'agit de rendre service. Je dois dire que mes sentiments envers elle balancent entre amour et haine en cet instant.

Plantée dans la rue, je crois voir des visages partout derrière les fenêtres en train de m'observer. Je me sens épiée, mais ce n'est qu'une impression. Il ne manquerait plus qu'une petite vieille du quartier me voie, me prenne pour une cambrioleuse et appelle la police.

Je dois me ressaisir. Ce n'est pas vraiment ce que j'avais imaginé quand j'étais au chaud dans la voiture de Justine. Il n'est pas trop tard pour faire machine arrière. J'en aurais pour quelques dizaines de minutes pour rentrer chez moi à pied.

Non, maintenant que je suis là je dois faire quelque chose. Je ne veux pas avoir dérangé ma grand-mère inutilement. Je sors mon téléphone et vérifie la batterie. Tout va bien de ce côté. Je lui envoie un message ou bien je tente de l'appeler ? Peut-être pourrais-je même sonner directement chez lui ?

Pourquoi tout me paraît être une mauvaise idée ? Soudain, je pense à la possibilité que Jérémy soit déjà couché. Ça aurait été judicieux de vérifier avant que Justine me laisse ainsi. D'une manière qui serait suspecte pour n'importe qui m'observant, je regarde la maison de Jérémy. Je vois vaciller une petite lumière. C'est celle de la télévision.

Il ne dort pas. Le moment est venu pour moi de passer à l'action. 

Mon nom est SarahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant