Les Spectres Oubliés

Prologue

Il la regarde, avec une pointe de tristesse.

Aujourd'hui, c'est la colère qui l'anime.

Il y a des décennies, elle lui a été volée par la Mort elle-même et, depuis, il essaie de la ramener à la Vie.

Parce qu'Eldéa n'a pas mérité de mourir de la main de cet être infâme. Parce qu'elle n'a pas mérité de vivre cet enfer. Parce qu'elle, parmi eux tous, mérite d'être ressuscitée avant tous.

Le seigneur du manoir ignore s'il sera capable d'exécuter son plan, s'il fonctionnera ou s'il échouera une millième fois. Il se souvient de toutes ces autres nuits où ses expériences ont échoué. Où l'espoir a laissé place à une rage sourde et froide.

S'il avait été présent, s'il ne l'avait pas abandonnée, rien de tout cela ne serait arrivé. Eldéa serait encore en vie, il n'aurait pas négligé son royaume, les monstres auraient été mis en déroute.

Mais Eldéa est morte, et son monde a implosé. Sans elle, il ne voit pas l'intérêt de continuer à expérimenter cette vie sans artifice. Elle est la seule personne importante, la seule qui mérite de recevoir un nouveau souffle.

Et ensuite cela, les autres pourront revenir à cette existence sans couleurs.

L'homme solitaire jette un dernier coup d'oeil à cette dépouille sans vie. Il ne devrait pas la regarder, il le sait, pourtant il ne peut s'en empêcher. Elle est magnifique. Elle l'a toujours été. Ses longs cheveux blonds comme le soleil d'été, ses yeux bleu-vert, ses fossettes adorables... ils lui manquent. Sur la table d'opération, son teint autrefois rayonnant est bien terne. Elle ne sourit pas.

Et s'il continue à l'observer, elle ne sourira plus jamais.

S'il a tout abandonné pour elle, Aydan est prêt à tout lui donner aujourd'hui. Jusqu'à une parcelle de son humanité.

Il ignore si elle se réveillera avec des souvenirs. Probablement pas. Il n'est pas un idiot : il sait que jouer dans le cerveau d'un humain est dangereux. Mais il est prêt à tout. Il lui réapprendra à vivre, il lui montrera quelle existence ils ont partagée ensemble. Son corps se souviendra de cet endroit, de ce manoir, de sa personne. Et la mémoire lui reviendra.

Il le faut.