Souvenirs d'un autre temps
Le temps passe avec une lenteur qui menace de me faire perdre les pédales. Je ne peux pas plus sortir à l'extérieur qu'auparavant, lorsque je vivais encore auprès de ma petite famille, mais quelque chose fait en sorte que le temps est long, que les minutes s'écoulent avec une agonie qui me prend à la gorge. Mon frère ne me tient plus compagnie, ma mère ne passe pas ses soirées à me raconter des anecdotes de sa jeunesse. Je suis seule, incroyable seule.
Ramay – mon mari – est parti je ne sais pas où. Le manoir n'accueille pas souvent sa personne. On dirait qu'il n'y a pas eu d'invasion pour lui – ou peut-être qu'affronter les créatures, les monstres de l'extérieur, ne représente rien pour lui. Peut-être que c'est un jeu d'enfants, qu'il s'en amuse. Au moins, je me console en me répétant que je n'ai pas à supporter sa présence longtemps, et je peux vaquer à d'autres occupations, même si elles sont peu nombreuses.
Son frère, Aydan, qui n'habitait pas ici auparavant, a fait de ce manoir sa résidence. S'il quitte lui aussi cet endroit de temps en temps, ce n'est pas à une aussi grande fréquence que son frère. Le reste de ses moments libres, il le passe avec moi. Il m'écoute quand je parle de Ramay, de la solitude que je vis, même s'il essaie de me faire penser à autre chose en me racontant des anecdotes de son enfance. Lorsque je discute avec lui, je n'ai pas l'impression de converser avec un Immortel ; il ne se croit pas supérieur à moi, comme Ramay me le fait sentir; au contraire, il me parle comme si j'étais de la même importance que lui.
J'apprécie nos moments partagés ensembles, qui sont rapidement devenus indispensables pour ma santé mentale. Ce sont les seuls moments de lumière dans les ténèbres dans lesquelles je patauge en tout temps. Je n'attends plus que les jours où il rentre pour avoir de belles journées, pour me sortir de ma torpeur. Il est vite devenu indispensable à ma routine, maintenant que je n'ai plus que lui.
Voilà plusieurs semaines qu'il a quitté le manoir, me laissant seule avec mes pensées sombres. Pourtant, lorsque j'entends la porte d'entrée ouvrir et se renfermer, je sais aussitôt. Je sais qu'il est là. De retour. Avec un enthousiasme non feint, je dévale les escaliers, les pieds nus, et cours jusqu'à lui. Il n'a pas encore tourné son regard vers moi que je saute dans ses bras. Il me réceptionne avec un rire – une mélodie à mes oreilles – avant de me reposer au sol.
— Je te manquais ?
Oui, ai-je envie de répondre. Toutefois, je ne suis pas idiote au point de le lui dire aussi frontalement. Nous savons tous les deux qui est le maitre du manoir, qui nous surveille même lorsqu'il n'est pas là, alors nous restons toujours un peu sur nos gardes.
— Je m'ennuie ici ! Il n'y a rien à faire, répliqué-je avec une nonchalance feinte.
Je pourrais parler avec les employés – la plupart m'ont l'air sympathiques, bien que très discrets –, mais ils n'osent pas m'approcher. Je soupçonne Ramay de leur avoir ordonné de ne pas m'adresser la parole. Il m'a isolée de ma famille, maintenant il cherche à me couper de tout contact humain. Et je perds peu à peu la tête.
Je pourrais lire davantage, mais c'est déjà ce que je fais la plupart de mes journées. Je n'en peux plus de cette solitude qui me colle à la peau, qui m'étouffe, qui m'enferme dans une prison dont je crains de ne jamais sortir.
Un sourire illumine le visage d'Aydan. Sans réfléchir, il fait passer l'une de mes mèches blondes derrière mon oreille avant d'appuyer avec mesquinerie sur mon nez. Lui qui se cache si souvent derrière un masque devant son frère... j'aime le voir plus naturel avec moi. J'aime son petit rictus lorsqu'il se moque de moi, son impatience lorsque je lui cuisine son gâteau préféré, ses sourcils froncés quand je lui parle des romances osées que je lis pour me divertir.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...