Souvenirs d'un autre temps


Je m'attendais à tout venant d'un Immortel. Surtout Ramay.

Mais je ne m'attendais certainement pas à ce qu'il retrouve mon père. Mon père, cet homme que nous n'avons pas vu depuis des semaines, des mois, des années peut-être qui a été blessé, dont on a perdu la trace, se trouve devant moi. Vivant.

Il est là.

J'oublie Ramay, qui se tient victorieux à ses côtés, un air suffisant au visage. J'oublie tout. Lorsque je vois mon père vivant devant moi, je me précipite vers lui. N'osant pas y croire, folle de joie, je plonge dans les bras, qu'il a ouverts pour moi. Son odeur rassurante me parvient, son corps m'enveloppe, comme s'il ne voulait plus jamais me relâcher.

Il est là. Il est vraiment là.

— Ma puce, me chuchote-t-il à l'oreille.

Deux petits mots et, pourtant, j'y sens toute l'émotion qu'ils contiennent. Après des mois, mon père est revenu. L'ennemi ne l'a pas tué, comme je le craignais depuis la dernière visite de Ramay.

Le monde n'a pas changé. Les monstres rôdent toujours dehors. Pourtant, mon monde à moi a changé, parce qu'il est de retour. Peut-être pas pour longtemps, mais il est là, en chair et en os, et je me sens mieux en sa présence. Il a toujours été mon protecteur, celui qui me rassurait les soirs d'orage, celui qui m'a appris à dépasser ma peur du danger que représente l'extérieur.

J'aime mon frère et ma mère, mais mon lien avec mon père est encore plus puissant. Le perdre m'aurait détruite.

Pour l'avoir ramené ici, je ne peux qu'être reconnaissante envers Ramay. Même si j'aimerais mieux ne pas l'être. Même si c'est plus facile de le haïr.

Tant que mon pète se trouve à mes côtés, je me sens invincible. Contrairement à ma mère, il ne m'a jamais laissée aux domestiques pour qu'ils s'occupent de moi à sa place. Il s'est chargé lui-même d'une bonne partie de mon entrainement pour me préparer, pour que je sois prête à me défendre le jour où se confiner ne serait plus nécessaire. Il m'a formée, m'a élevée, m'a aimée.

Je n'arrive pas à le lâcher. Le reste de ma famille a beau attendre, derrière moi, je ne leur laisse pas la chance d'accueillir l'être cher qui nous a été rendu. Contre moi, il ne défait pas son emprise, le menton posé sur mes cheveux.

— Je ne voudrais pas interrompre ces retrouvailles, mais nous devons parler plus sérieusement.

À contrecœur, je me détache de mon père pour concentrer mon attention sur Ramay.

Nous voilà désormais seuls dans une pièce blanche. Si je ne suis pas aussi mal à l'aise avec lui que lors de notre dernier tête à tête, je n'ai aucune envie de rester plus longtemps en sa compagnie. Ma famille est réunie dans le hall ; ils m'attendent.

Toutefois, Ramay ne s'en préoccupe guère.

— J'ai une proposition à te faire, Eldéa. Ta vie pourrait changer d'un claquement de doigts si tu acceptes. Accompagne-moi jusqu'au manoir de la famille Arkadès et sois ma femme.

Ma première réaction est d'éclater de rire. Il ne peut pas être sérieux. Il ne peut pas réellement vouloir que je sois sa femme. Moi ? Je ne suis qu'une pathétique humaine alors qu'il est un immortel. Et qui, de nos jours, pense au mariage alors qu'un avenir n'est pas assuré ? Alors que demain pourrait signer la fin de notre existence ?

Mon père apparait. Je n'avais même pas remarqué qu'il se trouvait lui aussi dans la pièce. Et c'est là que je comprends. Évidemment. Comment as-tu pu être aussi idiote, Eldéa ?

Les Spectres OubliésWhere stories live. Discover now