— La légende dit que les dieux ont créé les humains et ont été satisfaits par leur création un temps. Mais qu'ils se sont vite lassés de ces créatures dont la vie était courte, volatile. Elles avaient un appétit pour des valeurs négatives, trahissaient, faisaient constamment la guerre et, surtout, répétaient les mêmes erreurs. Alors les dieux ont donné une partie d'eux-mêmes, de leur propre essence, à certains humains pour créer les Immortels, des êtres que la maladie et la vieillesse ne toucheraient jamais. Ils leur ont par la même occasion donné leurs pouvoirs. Affaiblis, ils se sont retirés. Puis les Immortels se seraient reproduits, découvrant par eux-mêmes leurs capacités.
Assise sur un chaise dans le bureau d'Aydan, je l'écoute me raconter l'origine des Immortels avec une grande curiosité. Même si voilà des mois que je me trouve ici, c'est la première fois que je passe autant de temps dans cette pièce. L'endroit est éclairé par une dizaine de chandelles, son propriétaire refusant d'allumer le chandelier pour une meilleure luminosité. Pourtant, ça ne m'empêche pas d'observer avec attention son visage concentré. De l'autre côté de son bureau, assis sur une chaise ridiculement petite pour sa grande taille, il me parle de sa voix grave.
— En l'absence des dieux, certains se sont dit que c'était le rôle des Immortels de gouverne le monde puisqu'ils sont les êtres intelligent les plus puissants.
— Et toi, qu'en penses-tu ? ne puis-je m'empêcher de demander.
Aydan semble à peine perturbé par ma question, comme s'il s'attendait à ce que je la pose.
— C'est ce que mon père et mon frère pensaient. Avant que les monstres n'arrivent, alors que notre royaume était encore un royaume paisible. Le roi était Immortel lui aussi et il s'est pensé invincible, c'est ce qui a causé sa perte. Dans la panique, la succession royale a été délaissée et chaque gouverneur s'est occupé de son territoire. Mon père, lui, ne se préoccupait pas vraiment des humains. Il était de ces Immortels qui croyaient en la loi du plus fort ; tout comme les animaux les plus faibles s'éteignent, les humains devaient être éliminés. Ramay et moi, nous n'étions pas d'accord. Nous avons rejoint les rangs humains, avec quelques autres Immortels avec encore un peu de cœur, pour combattre les monstres aux frontières. Nous n'avons pu les contenir avant qu'ils n'envahissent le pays.
Le cœur battant de plus en plus vite, je l'écoute me raconter ces événements dont je ne savais rien. J'ai l'impression d'être une enfant qu'on a enfin jugée assez âgée pour lui partager des informations importantes sur son histoire.
— Mon père a disparu. On ne sait pas comment. Un jour, il était en voyage diplomatique et il n'est jamais revenu. Un tas de choses auraient pu le retenir, donc mon frère et moi n'avions pas le choix d'attendre qu'il revienne. Après deux ans à l'attendre, on n'a pas eu le choix de le déclarer mort. Ramay a pris sa place et c'est là que tout a dégénéré. Il n'a jamais été un gentil garçon, mais son dédain pour les humains s'est installé dans son esprit à ce moment-là. Je n'ai jamais su d'où ça venait.
Lorsque je pense à Ramay et à tout ce que mon inconscient m'a montré de sa personne, mon corps réagit avec violence. La chair de poule recouvre ma peau et mes muscles se raidissent, comme pour se préparer à une éventuelle attaque. Il n'est pas là, Eldéa, il n'est plus là.
— Je ne me souviens pas de tout, partagé-je, ma mémoire encore dans le brouillard, mais c'est la première chose que j'ai remarqué chez lui. Ce dédain. Je me sentais... inférieure à lui. Je ne comprends pas : pourquoi vouloir de moi comme sa femme s'il me percevait ainsi ?
Aydan secoue la tête, les yeux fermés un court intéressant. Une lueur de tristesse y est passée avant qu'il ne les close. Elle était furtive, pourtant je l'ai bien vue.
— Ramay aimait les belles choses. Pour lui, tu n'étais qu'une belle chose, un trophée, une... récompense lorsqu'il revenait du front.
La boule dans ma gorge grossit. J'ai la nette impression qu'Aydan me cache des choses importantes, des choses horribles. Cependant, en ce moment, je n'ai pas la tête à lui demander ce qu'il s'est passé ensuite. Je ne suis pas prête à l'entendre. Peut-être cela fait-il de moi quelqu'un de faible, mais je n'en ai cure.
— Et les autres royaumes ? Il y en a d'autres, n'est-ce pas ? le questionné-je, intrigué. Je n'arrive pas à m'en souvenir...
L'air grave d'Aydan ne me dit rien qui vaille. Mes entrailles se resserrent. La tristesse, déjà présente, m'asphyxie.
— Ils sont probablement déjà détruits, Eldéa.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...