Comme il me l'avait promis, Aydan m'a indiqué où loge désormais mon frère, écarté des autres. De moi.

Comme je l'avais deviné, il m'a menti pour me challenger. En effet, il n'a pas été difficile pour moi de trouver le chemin des appartements de Jaimy, même si je ne me suis pas souvent rendue dans ce coin du quatrième étage, où les chandeliers et les sources de lumières semblent rares.

Il m'a fallu prendre une bonne inspiration, pour puiser dans ma détermination, avant de frapper à la porte derrière laquelle se cache l'homme qui ne se souvient plus de moi. Et maintenant, alors qu'elle s'ouvre pour le dévoiler à ma vue, je serre les poings, tente de contenir la nervosité qui s'empare de moi.

C'est la première fois que je vois Jaimy depuis que je lui ai foncé dessus, depuis que Aydan m'a révélé l'avoir ressuscité. Je ne sais pas ce à quoi je m'imaginais en venant ici, mais il est identique au souvenir que j'ai de lui : plus grand que moi d'une tête, des cheveux mi-longs oscillant entre le châtain et le blond, des yeux grands ouverts, quoiqu'aujourd'hui alourdis par la fatigue.

Il semble davantage en contrôle que moi, lors de mes premiers jours ici, à me demander qui j'étais. Il n'a pas perdu la tête. Si Aydan a réussi à faire revenir son corps à la vie, son esprit s'est lui aussi réintégré. Seul problème : il n'a plus ses souvenirs. Tout comme moi lorsque je me suis réveillée.

Ai-je moi aussi été ressuscitée ? Non, Eldéa, arrête de créer de folles théories.

Jaimy ne m'observe pas avec le regard d'un frère ; même si on lui a dit que je suis sa sœur, son cerveau n'arrive pas à assimiler l'information. Pour lui, je ne suis qu'une fille étrange qui a fait une crise de nerfs lorsqu'elle l'a vu pour la première fois. Je n'aurais pas été étonnée qu'il refuse de me rencontrer. Mais savoir que c'est lui qui a demandé à me voir me fait un petit velours au cœur. Tout n'est pas perdu. Tout comme je retrouve peu à peu la mémoire, il peut l'obtenir.

Mais aurais-je la même patience qu'Aydan et Emilyah ont eu envers moi ? Serais-je capable de l'aider dans son processus alors qu'une multitude trous parsèment ma propre mémoire ? Ai-je vraiment l'envie de m'embarquer dans une telle aventure ? Comment aider quelqu'un dont on se souvient à peine ?

Il me regarde toujours avec un air impassible. Je devine qu'il ne veut pas parler en premier, et je ne peux pas l'en blâmer. Moi-même je manque de mots. J'ai des idées, mais les phrases ne s'alignent pas dans mon esprit confus. J'aimerais tout dire, d'un autre côté je n'ai rien lui à dire.

Mais il faut que je me lance avant que je me dégonfle. Je ne veux pas me dégonfler.

Alors, après une inspiration profonde :

— Écoute, j'ignore ce qu'Aydan t'a révélé, mais je suis...

— Ma sœur, complète-t-il, stoïque.

À cet instant précis, j'ai une drôle d'impression de déjà-vu. Je reconnais sa voix. Elle me parle.

J'attends que des souvenirs me reviennent, à l'entente de sa voix, que mon inconscient se débloque et me redonne des bribes de ma vie passée. Rien ne se passe. La frustration m'envahit alors. Pourquoi m'a-t-on volée cette partie de moi ? Pourquoi ne puis-je pas y accéder ?

J'essaie de cacher toutes ces émotions à Jaimy, mais la réalité est que plus les jours avancent, plus la colère monte en moi. Et le pire, c'est qu'il n'y a rien que je puisse faire. Ça me tue à petit feu, de ne pas savoir qui je suis, pourquoi je ne suis pas morte comme mon frère, pourquoi je me suis retrouvée aux portes du manoir de la famille Arkadès...

— Je ne me souviens pas de toi, lâche le fantôme de mon frère, ce qui me ramène brutalement au présent.

Pourquoi me le répète-t-il ? Ça fait mal, et il m'est difficile de cacher mes émotions. Je dois m'investir davantage dans la conversation, changer de sujet, tout faire pour que j'évite d'y penser encore.

Les Spectres OubliésWhere stories live. Discover now