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 Je voulais absolument avoir de nouveaux souvenirs. En essayant de les obtenir, je me suis fait mal au cœur.

Ayhdan ne m'a donc pas menti en me disant qu'il ne m'a jamais sauvée d'un monstre. Il ne l'a effectivement pas fait. C'est son frère, celui à qui il a fait référence. Ramay, s'est-il présenté dans mon souvenir. Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale en repensant à lui. Il n'est peut-être pas là physiquement, mais tout comme la moi du passé j'ai un mauvais pressentiment le concernant. Si au début de la conversation il était avenant, son ton a changé pour devenir méprisant, effrayant.

Ce qui est certain, c'est que maintenant je dois des excuses sincères à Aydan ; pour m'être mal comportée envers lui, pour l'accuser de tous les maux à toutes les occasions. Parce qu'il ne m'a pas menti sur ce point : ce n'était pas lui dans mon souvenir : c'était son frère. Son jumeau ? En tout cas, la ressemblance est frappante – j'étais convaincue qu'il s'agissait d'Aydan, mais à bien y penser, ça me semble plus logique que ce soit son frère. il y a quelque chose dans son énergie, dans sa façon d'agir et de parler qui n'est pas celle d'Aydan. Il n'aurait jamais parlé ainsi des humains.

Des questions sans réponses se bousculent dans mon esprit. Où se trouve ce frère désormais ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ? Que s'est-il passé, ensuite ? Ai-je accepté sa proposition, dont j'ignore la teneur ?

J'ai l'impression étrange que je l'ai revu par la suite, que Ramay ne m'a pas lâchée, mais quelque chose me dit aussi que ça ne s'est pas exactement bien passé. Peut-être est-ce à cause de lui que j'ai perdu la mémoire.

— Tu sais, Eldéa, jamais je n'aurais pensé que tu aurais la sagesse de t'excuser auprès de moi.

C'est sa réponse à mes excuses sincères, vulnérables. Heureusement, il a un sourire en coin narquois, mais d'un autre côté, qu'il prenne ainsi les mots que je lui ai partagés avec toute ma sensibilité.

Il m'a fallu du temps pour me remettre de mon rêve-souvenir de la nuit. Toutefois, lorsque je me suis sentie prête à affronter le monstre du manoir, je me suis rendue directement à la bibliothèque, où il passe souvent ses matinées. Assis sur un simple fauteuil, un livre relié dans les mains, Aydan a fait comme si je n'étais pas présente, alors que je savais très bien qu'il m'avait remarquée.

— Ouais, c'est bon, ça ne risque pas de recommencer, grommelé-je dans la barbe que je n'ai pas.

Il ne faut pas qu'il aperçoive mon petit sourire.

Et comme je suis mal à l'aise et que je ne sais pas comment aborder avec brio les sujets importants, je lâche :

— As-tu un frère ?

La posture d'Aydan change du tout au tout : il s'est raidi. Finies les rigolades ; il aborde désormais une expression impassible. Pourtant, je l'ai remarquée, son irritation. Mon petit doigt me souffle que ce ne sera pas une conversation agréable.

— J'ai effectivement eu un frère, répond-il lentement, après s'être raclé la gorge, mais il est mort et n'existe plus ici. Emilyah et moi évitons de parler de lui.

Il s'agit d'une piste dangereuse, pourtant je ne peux m'empêcher de l'interroger. Parce qu'une partie de moi espère encore qu'Aydan puisse m'apporter des réponses. M'aider à comprendre qui je suis.

— Pourquoi ne pas en parler ?

Je m'attends à ce qu'il se brusque, mais il n'en fait rien. Sa voix est basse, grave, sérieuse. Trop sérieuse.

— Emilyah et moi ne nous entendions pas particulièrement bien avec lui alors il ne fait pas partie de nos conversations, c'est tout.

Bien sûr que ce n'est pas du tout, que quelque chose se cache derrière ses explications un peu trop simples, mais je ne pousse pas davantage. Pas pour le moment. Aydan me semble à fleur de peau ce matin, et je sais que si je dépasse ses limites, je risque de le regretter.

Les Spectres OubliésWhere stories live. Discover now