— C'est maintenant que tu me tues alors ? demandé-je sur un ton léger.

Je m'attends presque à ce qu'énervé, il lève les yeux au ciel, mais à mon grand étonnement, un sourire orne désormais le coin de ses lèvres.

— Si tu crois toujours que je veux te tuer tu n'es pas aussi intelligente que je le croyais.

Je hausse les épaules, faussement nonchalante, me prêtant à son jeu qui me plait bien. On ne peut pas dire que les signaux qu'il m'a envoyés jusqu'à présent étaient clairs. Parfois, je me dis qu'il ne veut pas de moi ici, puis je me rappelle l'extérieur dévasté par la mort et tout ce qu'Aydan a fait pour me préserver de cette horreur.

— Ce n'est pas exactement chaleureux d'enfermer quelqu'un dans une prison.

Malgré mon ton à la limite de la plaisanterie, la réponse d'Aydan est on ne peut plus sérieuse. Puisqu'il tient toujours deux boules de feu en équilibre au-dessus de ses mains, il n'en parait que plus grave, plus fort que moi. Il lui suffit d'un faux mouvement pour m'éliminer.

— Je ne pouvais pas savoir ce qui allait arriver lorsque tu te réveillerais, si tu étais infectée par une morsure de monstre. On ne connait pas grand-chose de ces créatures – d'habitude, ils tuent leurs proies et n'en laissent aucune vivante –, mais on pourrait être surpris. Et je ne voulais pas te tuer.

— C'est presque touchant de t'entendre m'expliquer que tu ne m'as pas éliminée.

Pourtant, ça me fait du bien. J'aimerais le détester pour tout ce qu'il a fait, pour les demi-vérités, la peur qu'il a instillée dans mon quotidien, mais savoir que quelque part il tient à moi – parce que je lui rappelle quelqu'un – me procure un certain apaisement.

Il faut croire que je ne suis pas aussi exaspérante et antipathique qu'il essaie de me le faire croire.

Interrompant mes réflexions, Aydan prend la parole pour changer de sujet :

— Il faut t'entrainer maintenant.

Son commentaire me fait froncer les sourcils. Voilà une éternité que sa sœur et lui se cachent dans leur manoir, selon ce que j'ai compris de la situation, et ils ne paraissent pas déterminés à en sortir dans un avenir proche. Alors pourquoi devrais-je m'entrainer avec lui ? Ses capacités surnaturelles ne sont-elles pas suffisantes si le danger vient à nous ?

Il remarque aussitôt mes interrogations puisqu'il insiste :

— On ne peut pas totalement te protéger si tu ne te t'entraines pas et ne sais pas comment te défendre.

Mes bras trouvent mes hanches tandis que je l'affronte, sans peur.

— Donc, si j'ai bien compris, tu m'empêches de rendre visite à mon frère pour que je fasse du corps à corps avec toi ? Tu ne trouves pas ça un peu... inhumain ?

Un nouveau petit sourire. Un nouveau sursaut de mon cœur.

Ne te laisse pas séduire par son charme d'immortel. Soutiens son regard et bats-toi, Eldéa.

— Je ne t'empêche pas de voir ton frère, réplique-t-il avec ce calme qui me désarçonne toujours autant, mais de faire quelque chose que tu regretterais par la suite. Ce n'est pas en le brusquant que tu obtiendras des réponses. Eldéa. Il ne sait rien. Ne t'inquiète pas, je m'occupe de le questionner quotidiennement sur ses souvenirs.

L'idée que chaque jour Aydan rende visite à mon frère alors que je me cache de l'autre côté du manoir me fait mal au cœur. Je me rappellerai longtemps de cette confusion ressentie au réveil. Et je ne suis pas sortie de cette phase. Je suis toujours à la recherche de mon identité, seulement j'ai désormais une alliée à mes côtés. Peut-être même deux.

Les Spectres OubliésWhere stories live. Discover now