Le monde extérieur me fout les jetons.
Moi qui voulais, il y a quelques jours à peine, à tout prix sortir pour en savoir davantage sur cet univers dont je ne sais rien... Désormais, je crains cet inconnu. Parce qu'un monstre pourrait sortir du brouillard et me déchirer. Parce que le danger règne ici.
Pourtant, malgré la violente prise de bec entre Aydan et sa sœur, il n'a pas changé de décision. Aux petites heures du matin, il est venu cogner à ma porte, pour qu'on se retrouve dehors et qu'on affronte le monde extérieur. Moi qui me suis couchée tard et ai mal dormi, je l'ai maudit plusieurs fois en silence. Toutefois, je n'ai pas résisté. Il y a peut-être de l'espoir.
C'est les yeux tirés, le sommeil ne m'ayant pas encore quittée, que je me trouve à l'extérieur, juste à quelques pas de la porte principale du manoir. Depuis que j'ai déjoué la magie d'Aydan la cachant à mes yeux – on ne sait toujours pas comment j'ai réussi à le faire d'ailleurs –, il ne m'y interdit plus accès ; ça n'aurait servi à rien. En effet, il n'y avait aucune chance que j'y retourne par moi-même.
Et maintenant, me voici là, à une petite distance du manoir, regardant les lieux avec nervosité. La terre sèche, le ciel si sombre... et plus loin, les restes d'humains. Mon cœur me serre. Les images de cette nuit où j'ai rencontré un monstre pour la première fois, où son frère m'a sauvée d'une mort certaine, me reviennent brusquement. L'air me manque, ma cage thoracique rétrécit. Je me sens coincée...
Je n'ai que quelques pas à faire pour être de retour dans la demeure et me trouver de nouveau en sécurité, à l'abri de tous les dangers de l'extérieur, pourtant ça ne m'empêche pas de me sentir si vulnérable, si petite, si...
D'un autre côté, j'ai cet espoir ridicule que l'idée d'Aydan fonctionne, que des souvenirs importants me reviennent, que je retrouve une partie de moi. Il faut que ça accélère.
Il se trouve près de moi, les bras croisés sur son torse musclé. Il n'a pas enfilé des habits de combat aujourd'hui, mais je sais qu'il est aux aguets. Il jette des coups d'œil fréquents aux alentours, fait attention à ne jamais se perdre dans ses pensées, à toujours être à l'affût. Et surtout, outre sa force surhumaine, il a un avantage important sur moi : ses pouvoirs extraordinaires. En un claquement de doigts, il pourrait détruire un monstre qui s'approcherait. Pour le moment, il n'y a pas de danger.
Son regard se pose souvent sur moi, comme si j'étais sa priorité. Ou comme s'il avait peur que je m'envole à tout moment. Je ne suis pas une petite chose à protéger.
Déterminée à faire avancer les choses, je me tourne dos à lui, prends une grande inspiration, respire l'air, ferme les yeux quelques instants, essaie de m'imprégner de l'ambiance de l'endroit. Je doute que ça suffise à ramener des souvenirs, pourtant je tente tout ce qui peut être fait, avec l'espoir que quelque chose fonctionne enfin.
Mais le lieu n'est pas propice à un retour aux sources. La température étouffante, les nuages oppressants, la terre desséchée et craquelée, l'odeur rance, la mort qui rôde dans les alentours... Que puis-je réellement trouver ici ?
Soudain, la voix d'Aydan s'élève derrière moi, étrangement calme dans cette atmosphère oppressante.
— Ce matin, on s'entraine, Eldéa. Tu pensais peut-être faire une petite pause ? Pas avec moi.
Je me retourne aussitôt, interloquée, les yeux ouverts, oubliant quelques instants ce à quoi je pensais. Lorsque mon regard rencontre le sien, je recule aussitôt d'un pas, frappée par ce que je vois. Il n'y a pas de lumière pour le mettre en valeur, pourtant en ce moment, quelque chose me frappe dans l'allure d'Aydan. Il est beau, terriblement beau, avec ses cheveux noirs atteignant ses épaules, son visage aux traits bien dessinés, ses yeux sombres. Autrefois, ses mêmes prunelles me faisaient peur.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...