Lorsque je me réveille pour une seconde fois, le changement est aussitôt perceptible. Je ne me trouve plus dans une cellule.
Mes yeux rencontrent un plafond gris. Je papillonne des paupières, perdue. Pendant quelques instants, je panique. Puis, lorsque je me redresse en hâte, mon regard tombe sur une porte, à l'autre bout de la pièce. Pas de barreaux me retenant prisonnière. Pas de sol froid. Pas d'obscurité étouffante.
Mais j'ignore toujours où je me trouve. Alors, tentant de rester calme, je découvre tranquillement ce qui m'entoure et me rends compte qu'on m'a placée dans une chambre. Je suis moi-même assise dans ce qui me semble un lit baldaquin immense. L'endroit est spacieux. Il y a une coiffeuse au fond, quelques tables, des décorations et deux ou trois livres. Et surtout, à ma droite, une fenêtre, cachée par des rideaux de velours. Sans y penser davantage, je me précipite vers elle, le cœur battant à tout rompre, écarte les pans de tissu et... tombe sur un mur de briques. C'est une blague ?
Perplexe, je reste quelques instants immobile, me demandant qui est assez cruel pour transférer quelqu'un d'une cellule froide et obscure à une chambre avec un semblant de liberté. Où suis-je ?
Je suis habillée de ce qui ressemble à une longue robe de nuit aux couleurs pastel. Quelqu'un m'a visiblement déshabillée pour me faire enfiler ce morceau de vêtement. Mais qui ?
Et surtout, qui suis-je ?
Je ne parviens toujours pas à répondre cette question. Peu importe jusqu'à où je fouille dans ma mémoire défaillante, rien ne me vient. Pas même mon nom. Je ne suis qu'un fantôme, un spectre, quelqu'un à qui on a enlevé son identité pour l'enfermer. Non seulement rien ne me vient concernant mon propre nom, mais j'ignore tout de ce qui m'attend à l'extérieur. J'ai l'impression d'être un nouveau-né qu'on a jeté dans le monde sans explications.
Dépitée, la tête en vrac, l'âme vide, je me laisse tomber sur le sol. Un petit gémissement peine à sortir de mes lèvres. J'aimerais pleurer, m'apitoyer sur mon sort, mais sur quoi dois-je me lamenter ? Je ne suis littéralement personne.
Une minute passe, puis deux. Un temps infini finit par s'écouler avant que quelque chose n'arrive. De petits sons, que je reconnais immédiatement. On cogne à la porte.
Je me redresse aussitôt, en alerte. J'ignore qui se trouve de l'autre côté et si elle me veut du bien. A priori, elle ne veut rien de bon, si j'en crois mon premier réveil dans un cachot. Je devrais me méfier, toutefois je n'ai aucun endroit où fuir. Je n'ai même pas de salle de bains personnelle, à croire qu'on ne me fait pas du tout confiance. Que dois-je en penser?
Pourtant, même si tout devrait me pousser à ne pas faire attention à ce signe de vie, je ne peux m'empêcher d'être intriguée. La personne qui se trouve derrière la porte a probablement des réponses à mes innombrables questions. Et ce n'est pas comme si j'avais le choix.
— Oui ?
Ma voix est rauque. Je ne la reconnais pas, comme si c'était la première fois que je l'entendais.
La porte s'ouvre alors pour laisser entrer un homme de grande taille et de mince corpulence. Il m'est difficile d'estimer son âge, mais il doit avoir la quarantaine bien tassée. Il porte un habit noir sobre, qui doit l'aider à se fondre dans les ombres. Ses cheveux brun foncé sont peignés par en arrière et ses yeux me font penser à ceux d'une fouine.
— Mademoiselle Eldéa, content de voir que vous êtes enfin réveillée. Il sera heureux de l'apprendre.
— Il ? répété-je.
L'homme devant moi n'est pas le maitre des lieux, je l'ai deviné tout de suite. Il semble plutôt son majordome.
— Monsieur souhaite s'introduire à vous lui-même plus tard. En attendant, il m'a demandé de veiller à vos besoins et à vos désirs.
Je papillonne des yeux, toujours aussi surprise et perdue. J'ai l'impression d'assister à une scène sans y prendre part, sans avoir des éléments clé en main. Pourquoi cet homme, l'employé de celui qui me retient comme mon gré, me parle-t-il comme s'il me connaissait ?
— Où suis-je ? demandé-je.
— J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à cette question.
— Pardon ?
Si j'en avais la force, je me lèverais avec vigueur et me fâcherais en bonne et due forme. Mais je me sens comme une poupée de chiffon qu'on maitriserait à l'aide de ficelles. Je n'ai aucun contrôle sur la situation, et peu importe qui me tient prisonnière, il a pris bien soin de me rendre aussi faible et insignifiante qu'un insecte.
Je serais peut-être moins furieuse si le majordome exprimait une certaine pitié à mon égard, mais ce n'est pas le cas. Son visage reste aussi froid qu'un bloc de marbre, aucune expression ne le traverse.
— De quel droit m'enfermez-vous ici ?
Peu importe où nous sommes, ça m'étonnerait que retenir des gens contre leur gré soit permis. La moindre des choses serait de me communiquer des informations et de me rendre ma liberté.
— Encore une fois, mademoiselle, veuillez m'excuser, mais je ne peux vous donner les réponses que vous cherchez. Monsieur a été très clair : lui seul peut vous révéler ce que vous voulez savoir.
Cette fois, un grognement de colère m'échappe. J'aimerais bien avoir ce Monsieur devant moi pour lui dire ma façon de penser. Mais comme il n'a pas eu la politesse de prendre de mes nouvelles lui-même, je doute qu'il me rende visite avant un long moment.
— Et où est-il en ce moment ? tenté-je.
— Il se repose.
Il se repose ? Il a enfermé une femme et, pendant ce temps, il agit comme si de rien n'était ? Mes envies de meurtre se font soudain très persistantes.
— Et quand vais-je le rencontrer ?
— Quand monsieur le voudra bien.
C'est officiel : cet homme n'a aucune intention de me donner une réponse claire. Il joue avec moi comme un enfant s'amusant à brûler une fourmi avec sa loupe. Énervée, fatiguée par tous ces non-dits, je lui tourne le dos et regarde vers la fenêtre, ou plutôt le mur de briques.
— Je peux, si vous le souhaitez, vous montrer le chemin vers la salle de bains et vous donner des vêtements plus adéquats.
Aucune réponse de ma part. Il veut jouer avec moi ? Très bien.
Après voir répété plusieurs fois son offre, il quitte la chambre, à mon plus grand bonheur.
Mais c'est à ce moment qu'un mot me revient à l'esprit.
Eldéa.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...