Souvenirs d'un autre temps
Je n'ai vu personne depuis une éternité.
Outre les employés du manoir. Mais puisqu'ils ont interdiction de me parler comme à une égale, autant bavarder avec les murs de la demeure. À coup sûr, ils seraient plus enclins à me divertir que les servants de Ramay.
Depuis des mois, il ne fait même plus l'effort de rentrer au manoir. Seule, à deux doigts de devenir folle, j'en viens presque à regretter sa présence. Heureusement, Aydan, lui, ne m'a pas oubliée.
Je ne vis que pour ces instants volés au destin, en sa compagnie.
Dans une autre vie, j'aurais préféré être mariée à ce frère. Aydan n'est peut-être pas l'homme le plus expressif, mais avec lui, je me sens à la maison. J'ai l'impression d'être de retour avec mon frère, ma mère et nos domestiques, j'ai l'impression de revivre. Mon existence insipide a un sens.
Jusqu'au moment où il disparait de nouveau pour un temps indéfini.
Aujourd'hui, il revient, il me l'a promis. J'ai prévu d'emprunter la cuisine de Gibet pour préparer le repas préféré d'Aydan avec lui – je n'arrive toujours pas à croire qu'après autant d'années, il ne sait toujours pas cuisiner ! – et de parler avec lui de mes dernières lectures. Et si on peut s'entrainer de nouveau, ma journée serait comblée. Mais j'ai si peur que Ramay l'apprenne...
Lorsque la porte d'entrée s'ouvre enfin, après ce qui me semble des années d'attente, je me rue vers le nouvel arrivé. Cette fois-ci, il a prévu mon enthousiasme puisqu'il dépose son sac et son arme sur le sol et me tend les bras avec un sourire qui me fracasse les jambes. Je m'interromps dans ma course, soudain confuse, ne comprenant pas ce qui se passe dans mon bas-ventre, pourquoi mon cœur bat aussi vite.
Un pli soucieux entre les sourcils, Aydan me rattrape dans ses bras. Et je ne peux m'empêcher de l'étreindre comme si ma vie en dépendait. Si Ramay était là, ce simple geste signerait probablement mon arrêt de mort. Mais justement, il n'est pas là, me souffle ma conscience.
Sans le lâcher, je me recule un peu, afin de le regarder dans les yeux. Ses iris sombres me fixent avec curiosité.
Il est si près de moi que je peux sentir son souffle sur mon épiderme à vif. De la chair de poule se forme sur ma peau. Avec une douceur qui me surprend, il pose son front contre le mien.
— Tu es si belle, Eldéa. Si belle.
Mon cœur bondit dans ma poitrine. Personne ne m'a déjà dit ces mots, avec ce ton... Je ne suis pas stupide, je sais ce que cela veut dire ; pourtant, la peur ne peut s'empêcher de faire son apparition dans ma poitrine. Dans cette immense maison aux nombreuses pièces vides, je ne suis pas libre. Chacun de mes faux pas est sûrement rapporté à Ramay. Je ne peux pas me permettre de...
— Hé.
La main chaude d'Aydan recouvre ma joue et m'incite à concentrer mon attention sur lui.
— Il n'est pas là, Eldéa. Ne le laisse pas avoir le contrôle sur tes émotions.
— Je ne pensais pas à lui, m'obstiné-je.
Un petit rictus incurve ses lèvres.
— Bien sûr que non, tu ne penses pas à lui...
Sa bouche se déplace lentement, jusqu'à la ligne de ma mâchoire qu'il couvre de baisers. Chacun d'entre eux est un électrochoc de plaisir. Je découvre des sensations que je n'ai jamais expérimentées auparavant et dont je deviens vite droguée.
— Mais moi, je pense sans cesse à toi.
Coup au cœur.
J'aimerais le toucher en retour, découvrir chaque parcelle de son corps avec mes mains, pourtant je ne parviens pas à bouger. Mes membres sont figés, submergés par ce plaisir qu'Aydan m'offre. Ce plaisir que je ne pensais jamais ressentir.
— Aydan, haleté-je, ayant déjà de la difficulté à respirer. Aydan...
Ses mains descendent peu à peu. Je ne respire plus.
Et n'en pouvant plus, je me lance. Mes lèvres se posent sur les siennes avec la force d'une femme affamée. Il répond à l'invitation sans même se questionner, tandis que sa langue s'infiltre dans ma bouche, et son image dans mon esprit.
Sans se défaire de mon étreinte, il me prend par la taille et inverse nos positions pour que ce soit mon dos qui se plaque contre le mur. Mon souffle se coupe un instant avant que ses lèvres prennent d'assaut les miennes. Ses mains sont partout sur mon corps. Le plaisir m'envahit.
Pour la première fois depuis une éternité, je me sens vivre. Son corps épouse parfaitement le mien, ses doigts qui me parcourent et me vénèrent me font sentir femme. Sous celles de Ramay, je me sentais sale, souillée, un objet précieux dont il se servait.
Sous celles d'Aydan, je me sens à ma place.
Et même si je sais que je ne devrais pas me rendre plus loin, que je ne devrais pas me laisser tenter par son aura qui m'ensorcelle, je ne peux pas m'empêcher de lui répondre avec ardeur chaque fois qu'il pose ses lèvres sur les miennes. Je réplique avec une passion que je ne me connaissais pas.
Il est les ténèbres et je suis le soleil. Il est le soleil et je suis les ténèbres. Nous nous complétons à un point fou. L'un sans l'autre, nous sommes perdus, toutefois, quand nous nous rencontrons, tout explose.
Je pourrais rester des heures dans ses bras, en communion avec cet homme qui a toujours été là pour moi. Le seul dans cette foutue maison qui se préoccupe un tant soit peu de ma personne.
Pourtant, c'est lui qui recule en premier. Sans lui, j'ai froid.
— Je ne peux pas, souffle-t-il du bout des lèvres, son front collé contre le mien. Je ne peux pas faire ça à mon frère.
Je crois avoir mal entendu, c'est pourquoi je reste silencieuse un instant.
— Et mes désirs à moi ? lâché-je d'une voix rauque.
Il prend mon visage de ses deux mains et fait en sorte que je le regarde. Ses yeux sont sombres, sombres d'une gravité qui me coupe le souffle. Je sais ce qu'il veut me dire, pourtant je ne peux pas me résoudre à accepter d'être loin de lui. Il est la seule éclaircie lorsque je suis dans le noir, lorsque j'ai envie d'y mettre fin. Ce serait facile, si facile.
Alors je lui lâche
— Aydan je suis enceinte.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...