Lorsqu'il n'y a pas d'horloge pour surveiller les mouvements des aiguilles, le temps se déroule d'une façon particulière. Très, très lente. Surtout lorsqu'on se réveille dans une chambre sans identité, sans réponse. Presque sans âme.

Peu de temps après que l'homme avec un bâton dans le cul se soit volatilisé, me laissant seule avec moi-même, je me suis ruée vers la porte dans l'espoir qu'elle ne soit pas verrouillée. Malheureusement, elle l'était, ce qui signifie que je suis bel et bien prisonnière, en attendant que le maitre des lieux daigne m'offrir une miette de son attention. J'ai envie de rire de l'absurdité de la situation.

Au moins, j'ai une information, une toute petite. Eldéa. C'est mon nom, enfin c'est ainsi que le majordome m'a interpellée. À moins que ce ne soit celui que son maitre m'ait donné. M'aurait-il rebaptisée pour faire de moi sa bête ? Cette pensée m'épouvante, même si elle m'apparait de plus en plus crédible. Je ne veux pas être l'animal de compagnie d'un homme qui se pense supérieur à moi. En fait, je ne veux qu'une chose : des réponses.

Mais ça semblait trop demandé pour ce simplet de majordome, qui agissait comme si je lui avais demandé la lune. Ou peut-être comme s'il avait peur de l'homme au-dessus de lui... quoi qu'il en soit... Eldéa. C'est déjà un premier pas vers une bonne direction : les réponses. Il faut se concentrer sur le positif de la situation.

J'aime ce nom, il sonne bien. J'ignore s'il s'agit de celui d'une reine de royaume, d'une figure d'autorité, ou celui d'une paysanne, d'une personne de moindre importance, mais je l'aime.

Je me rattache à ce petit bout de moi puisqu'il s'agit, pour l'instant, de l'entièreté de mon identité.

Un soupir m'échappe. Je jette un coup d'œil à la porte. Toujours rien. Je vais devenir folle.

Après ce qui me semble une éternité, il arrive enfin. Je sens sa présence avant même qu'il ne cogne à la porte. Son aura est forte, grande, elle me prend à la gorge. Pourtant, lorsqu'il frappe contre le battant de bois, je lâche un autre petit oui qui signe ma faiblesse.

Il entre dans la pièce et toute son aura m'enveloppe. Il est grand, beaucoup plus grand que moi. Ses cheveux noirs sont plus sombres que le jais, ses yeux noirs paraissent sans fond. J'ai l'impression que des volutes de fumée se dégagent de lui, mais ma vision me trompe sûrement. Malgré la dureté qu'il inspire, il a des traits androgynes. Son visage est doux, presque inoffensif. Mais je sais qu'il ne l'est pas. On n'enferme pas un être humain comme s'il n'était qu'un vulgaire animal.

— Je vois que tu as refusé l'offre de Gilbet, dit-il simplement, le regard posé sur moi.

Je papillonne des yeux, décontenancée, avant de comprendre qu'il parle de son majordome.

Je ne réponds pas, mes lèvres collées les unes aux autres. Sa stature et sa présence m'impressionnent. Tous mes plans d'évasion sont tombés à l'eau : je ne peux pas m'échapper lorsqu'un tel homme me tient entre ses griffes. Il n'aurait qu'à étendre le bras pour m'attraper et me remettre dans ma cage dorée.

— Eldéa.

Il ne fait que prononcer mon prénom et j'ai déjà des frissons qui me remontent la colonne vertébrale. Sa voix est grave, presque sensuelle. Je devrais avoir peur de lui en ce moment, je le sais, mais quelque chose m'attire à cet homme. Son corps appelle le mien, ensorcelé.

Il referme la porte derrière lui et s'approche de moi. Je me trouve toujours au sol, dans ma robe de nuit légère. J'ai l'impression d'être nue face à ce regard qui m'analyse. Il n'y a pourtant rien de pervers dans son regard.

Toutefois, je lutte contre tous les sentiments contraires qui s'emparent de moi pour enfin prendre la parole, espérant avoir quelques réponses.

— Qui êtes-vous ? articulé-je avec tous les efforts du monde.

Les Spectres OubliésWhere stories live. Discover now