Le soir arrive plus rapidement que je ne l'avais anticipé. J'ai passé une autre journée merveilleuse en compagnie d'Emilyah, mais il semblerait que toute bonne chose a une fin.
Lorsqu'elle et moi arrivons à la salle au manger, vêtues avec simplicité, il nous attend déjà. Son regard sombre droit devant lui, il bouge à peine pour nous saluer. Pourtant, je sens le poids de ses yeux sur moi.
Sur un coup de tête, je m'installe face à lui, à l'autre extrémité de la longue table. Malgré les mètres qui nous séparent, il m'est impossible de me dérober à sa vue, mais au moins, je ne suis pas assise directement à ses côtés. J'ai une chance de m'en sortie si la conversation tournait au vinaigre.
Emilyah est présente, comme prévu. Une nouvelle détermination m'habite désormais, et je sens que je n'aurais besoin d'elle pour prendre la parole. Je suis prête à me défendre face aux commentaires désagréables d'Aydan et à ne pas me laisser marcher sur les pieds. Par contre, je sais que je ne suis plus seule, grâce à elle. Et c'est ce qui me donne de la force.
Le silence se fait dans la pièce sombre, seulement éclairée par quelques bougies sur la table. Le lustre, au-dessus de nos têtes, est presque éteint, il n'y a que deux chandelles allumées. Cette vision me fait froncer les sourcils. Est-ce Aydan qui a éteint la flamme de certaines d'entre elles, avec cette magie qu'il prétend avoir ? Et pourquoi ça ?
La quasi-noirceur ne semble pas déranger Emilyah, comme si elle avait vécu une éternité dans cette pénombre étouffante. Alors, prenant son exemple, je décide de ne pas y prêter attention. Et étrangement, je commence moi-même à m'habituer à cette noirceur perpétuelle.
Je n'ouvre pas la bouche alors que Gilbet, toujours aussi impassible, sans personnalité, fait son apparition et nous sert les plats. Je n'accorde pas d'attention à ce que je mange, seulement concentrée sur ce que je dirai à Aydan durant le repas. Dois-je tout lui partager tout ce que je sais ? Lui en révéler que des parties ?
Parce qu'au fond rien ne me dit qu'il veuille réellement m'aider. Qu'il n'utilisera pas ces informations contre moi. Qu'il n'hésitera pas à violer de nouveau mon intimité, malgré le pseudo pacte qu'on a passé, lui et moi. Il respecte sa sœur et ses volontés, mais il peut aussi arriver à ses fins sans qu'elle ne soit au courant de ses gestes.
Un raclement de gorge sonore interrompt mes réflexions. Je ne relève pas les yeux de mon assiette.
— Vous avez... passé une bonne journée ? demande-t-il alors.
Je réprime un ricanement. Une telle question sonne étrange dans sa bouche, comme si c'était trop futile pour lui. Parce qu'il s'en moque. Tout ce qu'il veut, c'est savoir ce dont ton cerveau se souvient.
Emilyah ne répond pas. Moi non plus.
Avec un soupir, conscient qu'il ne trompe personne, il ajoute :
— Bon, eh bien, dans ce cas, allons droit à l'essentiel. Eldéa, qu'as-tu vu dans tes rêves cette nuit ?
Je hausse un sourcil.
— Pas même d'excuse pour avoir violé mon intimité, ce matin ?
Il darde son regard noir sur moi. Il est furieux que je remette encore ce sujet sur le tapis, pourtant je ne recule pas : je ne peux pas me laisser faire une fois de plus. Je finirai bien par obtenir les excuses que je mérite.
— Je ne m'excuserai pas pour ce que j'ai fait, gronde Aydan, les poings crispés sur la table. Tu n'en vois peut-être pas l'intérêt, mais vu que tu refuses de me répondre à mes questions, j'avais bien fait d'être là pour m'assurer de...
— Je ne refuse pas de te répondre, c'est toi qui sembles si peu enclin à accepter tes erreurs et à t'excuser. Ce n'est pas si compliqué pourtant.
Il se pince l'arête du nez, déjà énervé par cette réunion. Cette fois, je ne réprime pas mon petit sourire de satisfaction face à son désarroi. Il veut jouer ? Ce jeu se joue à deux.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...