Quand j'étais petite, je me suis cassé le bras. Je n'avais que six ans, mais je me rappelle encore la douleur qui m'avait assaillie. J'avais l'impression de mourir. J'ai eu un plâtre, fait maison puisque le confinement nous empêchait de nous rendre chez le guérisseur. J'avais mal en tout temps.
Je ne pensais jamais revivre une douleur aussi grande.
C'était avant aujourd'hui. J'ai si mal que la première chose que je fais en me réveillant, les yeux grands ouverts, est de me redresser et de vomir le peu qu'il restait dans mon estomac sur le sol. Mais alors que j'ai les mains cramponnées au bord de mon lit, elles se mettent d'abord à rayonner de plus en plus fort, comme si j'avais de la lumière en elles.
Effrayée, ne sachant pas quoi faire, je lâche un petit cri et retombe en arrière, sur le lit. Mes mains sont toujours lumineuses.
Les yeux exorbités, je tente de calmer mon cœur qui galope dans ma poitrine. Pourtant, je ne parviens pas à détacher mon regard de mes doigts, de mon propre corps. Je n'ai pas besoin de poser de questions pour savoir que ce n'est pas normal, qu'un humain ne devrait pas briller de cette façon. Et la douleur qui m'assaille... n'est pas normale non plus.
— Tu es réveillée.
Avec lenteur, je relève les yeux, pour tomber... sur lui. Ça ne devrait pas m'étonner qu'il se trouve dans ma chambre, confortablement installé sur une chaise, en train de m'observer, comme ce matin-là, alors que je venais d'arriver ici. Toutefois, cette fois, je n'ai pas envie de lui arracher les yeux ni de lui crier après.
Non, je suis étrangement contente qu'il soit là alors que mon propre frère ne veut pas de moi. Alors que je n'ai personne.
— J'ai mal, balbutié-je, ne sachant pas quoi dire d'autre.
Il ne lui faut qu'une seconde pour se trouver à mes côtés, me surplombant de toute sa hauteur. Il n'y a plus d'étincelle sombre dans son regard, celle qui m'avait tant effrayée le premier jour. Au contraire, aujourd'hui, il semble préoccupé par mon état.
— Je vais te chercher quelque chose pour la douleur.
Il est parti avant même que je n'ai le temps de hocher la tête. Avec un soupir, je me laisse retomber sur mon oreiller, tentant d'ignorer la souffrance qui me déchire l'intérieur. Toutefois, mes efforts ne suffisent pas. Mes dents grincent, mes poings se serrent, tandis que j'essaie de combattre le mal qui me ronge.
— Prends ça, ça ira mieux.
La gorge serrée, je saisis le verre que me tend Aydan et avale son contenu sans me poser de questions, même si j'en ai des centaines.
Aussitôt, le sommeil me reprend dans ses bras rassurants, m'éloignant de lui par la même occasion. Mais juste avant que je ne sombre plus profondément, je crois sentir sa main contre ma joue.
Mes rêves sont peuplés d'étranges images, de situations qui me semblent familières et d'autres, inventées de toutes pièces. Parfois, j'aperçois un visage familier, entends des paroles intéressantes, mais tout est éphémère, mes sens se confondent. J'ai chaud, j'ai froid, je flotte, je me noie.
J'ai peur, puis je suis triste, heureuse.
Mais surtout, il est là. Partout où je vais, il me suit. J'aperçois ses yeux sombres, son visage adouci, ses longs cheveux, son expression faussement énervée. Quelquefois, je me vois avec lui, pourtant je ne me concentre pas sur cet autre moi. Comme si mon inconscient me poussait à examiner ce Aydan d'une autre dimension, un Aydan qui se préoccupe de moi.
J'assiste à ce que nous aurions pu être, dans d'autres temps. Il me flatte les cheveux, me prend dans ses bras, me serre, me soulève de terre et me regarde comme si j'étais la plus belle chose sur terre. Et lorsqu'il m'embrasse – cet autre moi –, j'ai l'impression de pouvoir sentir ses lèvres sur les miennes. Des papillons se réveillent dans mon bas-ventre, et un brasier y éclate. Ma peau se couvre de chair de poule.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...