Chapitre 16 : Le démon à ta porte

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Sur le bâteau, en regardant l'horizon, je me remémorais ce qu'il s'était passé lorsqu'on a décidé de partir tous les quatre, en tenant d'une main le bois à babord et de l'autre, un violon blanc tâché de sang.

J'avais un grand linceul noir que je tenais dans mes mains comme la prunelle de mes yeux.
Je m'étais maquillée pour l'occasion, principalement en noir, que ça soit mes yeux ou mes lèvres et j'avais une deuxième paire de vêtements pour moi.
En arrivant sur la terre aux cochons, personne n'avait pensé à rendre hommage à Jizu.
Bien qu'à l'odeur pestilentielle, ravagé par les insectes, son cadavre gisait encore sur le sol, ou du moins, ce qu'il en restait ...
Je me suis assise sur le sol, j'ai déposé le linceul à côté d'elle et j'ai fixé le ciel.
Ça ne faisait peut-être pas longtemps qu'on était ensemble mais ces moments passés en tant qu'équipières comptaient beaucoup pour moi.
Tout en fermant les yeux, j'ai joint les mains.
"Fées de la terre, permettez-moi d'emprunter votre force un moment." Ai-je prononcé aux esprits.
Ma respiration s'est accélérée, mes os se sont craqués et bon sang, qu'est-ce que ça faisait mal!
Des poils gris se sont parsemés partout sur mon corps et j'ai fini à quatre pattes.
Je tremblais tant la douleur était insupportable mais par respect, je me devais de me changer.
En prenant l'apparence d'un chat mais à taille humaine ou simplement un maine coon de deux mètres aux longs poils, de mes pattes, j'ai commencé à creuser la terre.
Aidée des fées, à chaque coup de mes griffes, je m'enfonçais plus profondément.
Bien que ma transformation véritable accentuait ma force, seule, ce n'était pas évident.
Il m'aura fallu plusieurs heures pour réussir à faire ce que je souhaitais.

Avec un grand trou de creusé, j'ai repris mon apparence à moitié humaine après être remontée à la surface.
Puisque la transformation déchirait mes vêtements, j'ai pris ceux de rechange que j'avais.
En la regardant, au niveau de son oreille, j'y ai accroché une des deux boucles en faisant attention à la mettre à l'oreille opposée à laquelle je l'avais mise sur moi.
Délicatement, j'ai déposé le linceul sur l'Arachna puis je l'ai déposée dans la tombe que j'avais faite.
En la regardant, je n'ai pu m'empêcher de pleurer.
Aux larmes noires qui s'écoulaient de mes joues à cause du maquillage, je ne ressemblais plus à rien.
Mais ce n'était pas de moi qu'il s'agissait mais bien de Jizu.
Et pour lui rendre hommage, j'ai été récupérer son violon qui prenait la poussière.
Il avait été tacheté de son sang et sur son archet, plusieurs cheveux y étaient restés accrochés.
C'est là que j'ai brisé une promesse que j'avais faite ...

Même si je n'étais pas douée, du mieux que j'ai pu en me souvenant de comment l'Arachna avait fait, j'ai essayé de reproduire une musique qu'elle avait faite pour m'endormir au camp.
Ce n'était pas parfait, personne n'avait à m'envier pour mes performances musicales mais pour moi, ce geste était très important.
Et j'espère que de là où elle était maintenant, auprès de la Déesse Estelle, Jizu pouvait trouver le repos éternel grâce au Dieu Iriklanor.
À chaque note que je faisais, une larme noire s'écoulait.
Au maquillage dégoulinant, jamais je n'oublierai mon amie.
Après avoir déposé son instrument sur le sol, de mes mains, j'ai commencé à remettre la terre au-dessus de son corps.

Complètement épuisée après avoir terminé, je suis retournée vers Ernistère avec son violon que je peinais à jouer.
Au plus j'avançais, au plus ma vision me quittait.
Il était très rare pour un être à moitié animal d'être capable de garder conscience après s'être transformé mais je me le devais, par respect pour Jizu.
C'est là que je suis tombée.
Je me souviens qu'Heimérid était sorti de mon ombre et m'a récupérée sur son dos pour me reconduire jusqu'à la capitale des démons.
Mais un Nyrzhül ne choisit pourtant pas n'importe qui sur son dos ...

Lorsque je suis revenue à moi, je me trouvais sur le sol à côté de mon lit.
J'avais Héimérid dans mes bras et je voyais sur certains de ses tentacules ainsi que sur le sol, des traces noires de mon maquillage qui avait coulé, certainement à coups de pleurs.
"Quand je t'ai trouvée dans ta chambre, j'ai voulu te mettre sur le lit. Venait de la voix d'Anne qui était assise sur une chaîse à côté, où sur la table se trouvait un service de thé qu'elle avait fait.
Tu ne m'as pas laissé le faire, tu voulais absolument rester auprès d'Heimérid donc je n'ai pas voulu te déranger plus que ça. M'expliqua la déchue.
Et dans tous les cas, quand je me suis approchée, il s'est mis à grogner donc c'était certain que je n'allais pas essayer.
-Je ne savais pas qu'il souhaitait que je devienne sa maîtresse.
Mais d'un autre côté, s'il allait dans mon ombre et celle de personne d'autre, c'est que son choix devait déjà être fait." Ai-je répondu en caressant la bête après m'être redressée mais sans pour autant me relever.

Une fois à table, j'ai bu ce que m'avait préparé Anne mais plus rien n'avait de goût.
Pourtant, elle était une excellente cuisinière qui ne m'a jamais déçue.
C'est là qu'une idée m'est venue en tête.
"Je pense fonder mon propre groupe avec l'accord du roi.
-Et comment souhaiterais-tu qu'il se nomme?
-Les Larmes noires." Ai-je dit en lui indiquant mon visage.

Avec un blason à la hauteur du nom de notre groupe, ou guilde, comme diraient les barbares de l'autre monde, nous avions maintenant une identité propre et qui plus est, un écu avec notre appartenance par-dessus nos équipements.
Pour Heimérid, la marque se trouvait à l'intérieur de ses yeux mais il fallait vraiment s'en approcher pour le savoir et ça, personne d'autre que moi n'en n'aurait été capable.
Je ne sais pas réellement comment ça se faisait mais j'imagine que le lien m'unissant à lui devait en être la cause.
Gravé sans l'endommager, notre blason se trouvait aussi sur l'instrument de l'Arachna où j'ai bien demandé à ce que personne ne le nettoie.
D'une certaine manière, ça faisait que nous étions cinq dans notre groupe car où que nous allions, je porterai avec moi toutes celles et tous ceux qui auront fait un bout de chemin à nos côtés, même s'ils ont perdu la vie.

Mettant fin à cette pensée passée, j'ai observé Zhin qui frappait le vent pour s'entraîner, le capitaine qui scrutait l'horizon, Anne qui méditait les yeux fermés et Heimérid qui était à côté de moi.
La brise légère et l'odeur marine parvenaient jusqu'à moi, m'apaisant autant que le bruit des vagues qui battaient sur notre navire en direction de notre destin.

En tenant fermement le violon de Jizu, sur le bâteau, j'ai commencé à en jouer sans me soucier du lendemain comme elle savait si bien le faire.

Jamais, tu ne seras oubliée, mon amie ...


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