Chapitre 6 : L'étoile de demain

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Tous les trois, on a tué des monstres dans la forêt jusqu'à la nuit tombée.
Par moments, j'avais l'impression que Jizu était bien plus forte que moi.
Ses griffes, ses fils de soie, on aurait dit qu'elle dansait entre les monstres.
Et lorsque je regardais Rénald, au final, j'avais seulement la sensation d'être inférieure à eux deux.
Bien qu'il n'avait qu'une épée à deux mains, le chevalier pouvait encaisser les coups mieux que quiconque.
Armée de ma dague et de ma détermination, je devais devenir plus forte.
C'est pour ça qu'il me fallait battre ce cauchemar qui me poursuivait ...

Après avoir monté le camp au soir, autour du feu et pour nous détendre, l'Arachna s'est mise à jouer du violon.
Pour la suivre, j'ai commencé à danser comme s'il n'y avait pas de lendemain.
Assis sur son tronc d'arbre, Rénald tapait du pied sur le sol et dans ses mains.
Ce moment était magique, plein de bienveillance, allant jusqu'à m'en faire chanter.
C'était une vieille berceuse que mon père me murmurait pour m'endormir, que j'ai modifiée pour la rendre plus conviviale sur le moment.
Elle se nommait l'étoile de demain.
Provenant d'un conte, expliquant la douceur du ciel lorsqu'il nous couvre de son manteau de la nuit, c'était l'histoire de celle qui venait chaque nuit nous rencontrer mais dont nous n'étions pas capables de voir.
Déesse et femme d'Iriklanor, l'étoile de demain au nom que personne ne connaissait, nous susurrait des mots doux pour nous permettre de nous endormir.

C'est en tombant sur le sol de fatigue, que j'ai regardé le ciel.
Lentement, la musique de l'Arachna commença à s'estomper et Rénald s'est mis à scruter l'horizon pour nous protéger.
Une étoile brillait dans le ciel et Jizu et moi-même nous sommes endormies.
C'est lorsque j'ai ouvert les yeux que je suis retournée dans ce monde fait de noir.
Cette fois-ci, mes mains et mes chevilles étaient liées par des fils faits de fumée et deux mains serraient mon cou.
Je ne sais pas si c'était un fétichisme de sa part ou de la mienne mais à nouveau, j'étais dénudée dans mon cauchemar.
L'ombre se trouvait face à moi et tout en m'étranglant, de ses grands yeux de feu, me regarda.
Mes liens me brûlaient la peau tout autant que ses mains me donnaient des frissons tant elles étaient froides.
Et c'est en regardant l'adversité, que je me suis laissée manger pour la seconde fois.
Je n'avais pas peur mais cette sensation de douleur était si désagréable que j'avais envie de vomir.
Comme si quelqu'un griffait de ses ongles un tableau ou de ses couverts, raclait une assiette.
"C'est tout ce que tu es capable de faire? Ai-je demandé à voix haute avec fierté en souriant.
-Un jour, tu seras celle qui me mettra ma couronne sur la tête.
Et ce jour-là, nous verrons qui de nous deux rigolera le dernier ..." M'a-t-il répondu en s'éloignant.
Bien que j'avais toujours des fils bloquant mes mouvements, l'ombre avait enlevé ses mains.
Et ce n'est que quelques secondes plus tard, qu'il les a remises en hurlant si fort après avoir approché sa tête de la mienne que j'ai senti mes tympans exploser.

À mon réveil, je n'avais pas peur mais mes oreilles sifflaient.
Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai ouvert les yeux?
Devant moi, accroupie pour me réveiller, Nuxie se trouvait là.
De sa main sur ma joue, d'une partie de ses cheveux qui n'avait pas voulu rester derrière son oreille elfique et donc me tombait sur le cou, elle me regardait.
"Est-ce que tout va bien, Andréalle? M'a-t-elle demandé avec inquiétude.
-Rien de plus qu'un petit cauchemar. Lui ai-je bafouillé.
-Alors pourquoi ... Est-ce que tu trembles comme ça?"
En y faisant plus attention, sans tenir compte de la lumière du soleil qui passait au travers des feuilles pour aller rayonner dans ses cheveux blonds, mes mains ne s'arrêtaient plus de bouger.
L'une tenait ma dague comme si ma vie en dépendait, tandis que la seconde avait ma fiole dans le creux de ma main, que je me suis empressée de ranger à sa place.
Voilà deux nuits consécutives que mon réveil était nostalgique.
J'avais pour habitude d'être réveillée par ma mère qui m'apportait de la joie en dansant et en chantant de bon matin et maintenant, je me retrouvais avec quelqu'un proche de moi, capable de me soutenir quand j'en avais besoin.
Est-ce ce qu'on appelle le bonheur? Je n'en suis moi-même pas certaine ...
Je pense que je ne trouverai le repos qu'à partir du moment où j'enlèverai de ma conscience ce poids qui m'attriste le plus ... Le mérite de mettre fin à la vie de l'ombre qui a emporté mes parents.

Toute joviale, Nuxie m'a pris la main pour m'aider ou me forcer, au choix, à me relever.
En le faisant, mon visage s'est trouvé très proche de celui de l'elfe.
Elle avait des yeux d'un bleu, qu'on aurait dit qu'on pouvait y observer l'océan, à s'en perdre dans son regard.
Et j'ai ouvert en grand mes yeux lorsqu'elle a commencé à sourire étrangement.
"Si tu te perds aussi facilement dans mon regard, imagine ce que je suis capable de faire dans la vraie vie." A-t-elle dit sur le ton de l'humour.
D'un côté, ça m'a changé les idées du cauchemar que j'avais fait mais de l'autre, ça me faisait me souvenir qu'ici, seule Jizu était réelle tandis que Rénald et Nuxie pouvaient disparaître à n'importe quel moment ...
Cette simple pensée de me dire qu'un jour ou l'autre, tout ce qu'on aura créé dans notre groupe pouvait disparaître à cause de cette vraie vie, me rendait mal à l'aise.
Je sais qu'ils se rendent compte que des vies sont en jeu mais si un jour, ce jeu qu'ils font ne les amusait plus?
Est-ce qu'ils reviendraient par obligation ou par empathie? Ou nous abandonneraient-ils sans un aurevoir?
J'étais terrifiée à l'idée d'avoir tout fait pour rien.
Et à nouveau, la voix de Rénald m'a prodigué un réconfort où même mes oreilles qui sifflaient depuis le cri de l'ombre ne pouvaient m'empêcher de profiter du moment, balayant mes peurs comme si de rien n'était.
"Andréalle, Jizu, dans ma vie au Japon, le monde duquel je viens, j'ai toujours rêvé d'être quelqu'un. Disait-il avec un sourire que je n'avais encore jamais vu.
Et c'est avec vous, cette épopée qu'on se fait, que je me dis que même si je n'arrivais pas à atteindre mon but, je ne regretterai jamais ce choix que d'avoir accepté de vous léguer mon épée pour notre promesse."

Ô mon chevalier, si tu savais à quel point tes mots m'ont mis du baume au cœur ce jour-là, lorsque j'ai observé ton regard qui en disait long sur ta sincérité ...

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