Chapitre 4

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Il paraît que tous les sept ans, les cellules de notre corps se régénèrent.
Un jour, j’aurai un corps qu’il n'aura jamais touché.

•••

Ce sentiment de dégoût ne me quitte que rarement. Alors oui, j'ai parlé. J'ai énoncé le fait que l’un de mes frères abusait de ma gentillesse. Qu’il prenait plaisir à se faufiler dans ma chambre, lors de ses courts passages dans la maison familiale, pour glisser ses doigts dans ma culotte d’enfant. Ne bouge pas. Fais semblant de dormir. Mais il a dit mon prénom, à voix haute. J'étais paralysée, contractée, effrayée. Et mon prénom dans sa bouche n'a fait qu’accentuer ma peur.

Il n’a suffi que d’une phrase, le lendemain, pour que mes parents soient au courant de cette histoire, qui durait à mon sens depuis tant d’années. Trop d’années.
— T’as pas l’air si traumatisée, m'a-t-elle affirmé sans même me regarder.
Est-ce qu’un mort peut subir un traumatisme, maman ?
Je l’ai détestée encore plus, de ne pas essayer de me parler ni de me comprendre, alors que sa fille aînée avait subi le même sort des années auparavant. Peut-on aimer un enfant plus qu’un autre, au point de ne pas réaliser la gravité de la situation ?

J'ai essayé de mettre cette histoire loin au fond de ma tête, comme s'il ne s'était jamais rien passé. Et ça m'a permis de pouvoir le regarder dans les yeux toutes ces dernières années, non sans avoir peur. Mais je l’ai laissé me faire du mal, comme si c’était normal. Puis, l’incompréhension de ses actes me peinait bien plus que ce qu’il me faisait vivre en cachette. Avoir de la peine pour son agresseur. Quelle ironie ! Mais il reste mon frère, quoi qu’on en dise.
J’ai grandi avec la conviction que je l’aimais. Il est mon sang, ma chair. Je porte les mêmes traits que lui. Seule son âme nous différencie.

Allez Marie, je te le fais bien moi !
Coincée dans son lit, dans la pièce voisine où se terre mon paternel, ses attributs sortent de son caleçon, m’obligeant à lui faire une fellation.
Moi, mes couettes et mon doudou.
Lui, et son regard perçant
Moi, et mes neuf ans de moins.
Lui, et son sourire en coin.
Je ne le savais pas encore, mais ce n'était que le début de ma descente aux enfers.

Il m'a pris quelque chose. Quelque chose que je ne récupérerai jamais. Quelque chose qui n'appartenait qu'à moi de décider à qui, quand et comment je le donnerais. Mais c'est lui qui me l'a pris. Lui.
Il m'arrive de me regarder dans le miroir et d'avoir une envie de vomir. Je fonds en larmes et file prendre une douche, parfois durant des heures. Comme si j'essayais d'enlever encore aujourd'hui cette partie de lui, en moi. Je me déteste dans ces moments-là. Parce que je me sens faible, parce que je me dis que j'aurais pu crier pour lui dire d'arrêter, mais je ne le faisais pas. Par peur qu'on lui fasse du mal comme il m'en faisait. Parce que je l’aimais.
Dis moi, frérot, t’arrive-t-il de te regarder dans le miroir et d'avoir cette même envie de vomir ?

•••

Avec le temps, ces images sont devenues des souvenirs, bien que j'aurais préféré qu’ils disparaissent dans le néant de mon cerveau.
Mais je me souviens de tout.
De ses pas frôlant le parquet. À son souffle chaud dans ma nuque. Aux froissements des draps lorsqu’il bougeait son bassin. À son odeur de transpiration, ainsi que celle de son haleine, qui me donnaient la nausée.
Je me souviens de ses yeux souriants, comme s’il tentait de m’apaiser pendant qu’il prenait plaisir à frictionner son corps avec ma peau d’enfant.
Sous lui, je n'étais rien d’autre qu’une poupée.
Une putain de poupée.

Il n’y a rien de plus cruel que de me laisser croire que c’est dans ma tête.
Crois-moi, j’aurais aimé que ce soit dans ma tête.
Avoir tout inventé.
Que ce soit dans ma tête.

Transparente.
Transparente.
Transparente.



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