Chapitre 15

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— Oh ! Une revenante, s'étonne Charles, l'un des éducateurs.
Je fonce droit dans ma chambre, pensant l’éviter, mais il bloque rapidement la porte avec son pied pour m’intimer de le suivre, d’un signe de la main.
— Pas si vite jeune fille. Suis-moi.
Je m'assois sur l’une des chaises du bureau et croise les bras.
— T'étais où ?
Je ne réponds pas.
— Joue pas à la plus maline, Marie. Ça fait trois mois qu'on n’a plus de nouvelles de toi. Il aurait pu t’arriver n’importe quoi.
Il me largue ses remontrances en plein visage, comme si j’en avais quelque chose à foutre.
Tout ce dont j'ai envie, c’est retrouver mon lit pour un sommeil profond. Et c'est ce que je fais, une fois qu'il a appelé mes parents pour leur annoncer mon grand retour, ainsi que le directeur de l’établissement. Je dors, durant des heures, peut-être des jours, je n’en suis pas sûre.

Toutefois, à mon réveil, je trouve un petit déjeuner sur la table qui n’attend qu'à être dévoré. J’engloutie les céréales et le lait, tandis que Flore, une éducatrice, s'installe face à moi.
— Sympa tes dessins, me fixe-t-elle.
Je comprends immédiatement qu’elle parle des nombreuses scarifications qui marbrent mes bras, que je n’ai pas pris la peine de couvrir. À quoi bon.
— Tu comptes te faire du mal encore longtemps ?
— Je tenterai de ne pas me louper la prochaine fois, si ça t’arrange.
Elle s’énerve au ton condescendant que j’utilise avec elle.
— Je ne plaisante pas Marie. T’es pas obligée de te faire subir ça pour qu’on t’aide. T’as juste à nous le demander.
Je repose ma cuillère violemment dans le bol, éclaboussant le reste du lait sur la table.
— Merci pour ce déjeuner fort sympathique. Je retourne dans mon cachot.
Débarrassant mes affaires, je m’engouffre dans ma chambre, fermant la porte à clé, allumant une cigarette pour me détendre.
J’ai pas besoin de votre foutu aide, pensé-je.

•••

14 décembre 2011, Paris, 15 ans,

Ce soir, je suis censée souffler mes bougies d’anniversaire. Malheureusement, je me retrouve assise, dans cette salle d’attente, à pleurer de douleur tant mon crâne me brûle.
— C’est bientôt notre tour, m’informe Aurélie.
Une femme sort du cabinet et nous interpelle. Il était temps !
J’entre dans la pièce, avant qu'elle ne me scrute le cuir chevelu.
— Mh… c'est vraiment pas beau à voir. J’y décèle un mélange d’eczéma, de psoriasis, mais également la teigne qui s'est énormément propagée, d’où la perte de cheveux sur plusieurs surfaces de la tête. Vous devez souffrir, ma pauvre…, me plaint la dermatologue.
À peine.

Plusieurs fois par jour, je dois m’appliquer des soins afin de traiter tous les problèmes que je me suis créé. Je prends des bains chauds, qui me font hurler de douleur, tandis que je dois graisser le tout, par la suite, pour être toujours hydratée.
Durant quinze jours, je suis le protocole à la lettre et les résultats arrivent de manière assez flagrante. Déjà, ma peau s’est régénérée, n’est plus à vif comme elle l'était et retrouve sa couleur d’origine. Je ne me gratte plus comme une acharnée, me laissant en paix au niveau de la sensation de brûlure. Je reste toutefois sensible et mon keffieh ne me quitte pas, attendant patiemment que mes cheveux repoussent par endroits.

À vrai dire, il n’y a rien de nouveau dans tout ça. J’ai toujours eu des problèmes cutanés, provenant principalement du stress et de l’anxiété, se déplaçant d'année en année, pour s’agrandir ou changer d’endroit sur mon corps bien abîmé. On m’a traitée de “sale”, de “parasite”, en refusant parfois de me toucher par peur d'attraper ma “maladie”.
Également, mon odeur corporelle faisait déjà office de signalement quand j’étais jeune. Petits, on ne se douchait que lorsque Gaëlle était dans les parages, c'est-à-dire, pas souvent. De nombreuses fois, ma sœur a dû me couper les cheveux car des nœuds impossibles à retirer s'étaient formés. Ma mère ne prenait pas la peine de me coiffer, mais souhaitait que j’ai une chevelure longue pour pouvoir me faire un chignon lors de mes compétitions de danse, m’obligeant à les laisser pousser, sans en prendre soin.
Alors, lorsqu’elle prenait le temps de passer chez nos parents, tous nos problèmes d’enfants disparaissaient. Nous mangions à notre faim. Nous nous lavions correctement. J’avais même le droit à la totalité de mes soins ! Elle coiffait mes cheveux longs, essayant au maximum de ne pas me faire mal et ces rares jours, je dormais paisiblement.
Es-tu consciente que tu as été une mère aimante, ma sœur ?

2001, Nogent-sur-Marne, 5 ans,

Nos sacs sur le dos, Célestin me guide à travers Nogent. Une fois de plus, personne n'est venu nous chercher à la sortie de la maternelle, nous nous sommes donc faufilés entre les parents et les élèves pour rentrer à pied. Mais Tinou a eu une encore meilleure idée !
Droite, gauche, tout droit. Nous marchons un moment avant de nous arrêter à un abri bus. Notre moyen de locomotion arrivé, nous grimpons à l’intérieur, Célestin aux aguets pour ne pas louper l'arrêt.
— On descend au prochain ! me signale-t-il.
Une fois de nouveau à l’extérieur, nous continuons notre balade durant deux petites minutes pour atterrir en bas d’un immeuble. La sonnette étant trop haute, nous attendons patiemment sur le trottoir que quelqu'un entre.
— Comment t’es sûr que c'est ici ? demandé-je, curieuse.
— Parce qu'on est déjà venu une fois, tu t’en rappelles pas ?
Si, je me souviens être allée chez elle, mais je n’ai absolument pas fait attention au trajet à emprunter pour y revenir. Lui si, apparemment.
Lorsqu’enfin une dame arrive depuis l’intérieur de l’immeuble, nous nous frayons un chemin pour y entrer. Nous grappillons les étages et toquons ensemble, là où nous souhaitons aller, avant que le battant ne s’ouvre sur ma sœur, étonnée.
— Mais qu'est-ce que vous faites là ?!
Elle regarde autour de nous et comprend rapidement que nous sommes seuls.
— Vous êtes venus comment ?
— Bah, en bus ! répond Célestin, s’installant sur le canapé du salon.
Normal, quoi…

Il nous arrive de le faire souvent. Partir à l'aventure, avec nos petites jambes, retrouver Gaëlle chez elle, pour profiter de sa présence rassurante. En général, elle téléphone à nos parents pour leur annoncer que nous resterons dormir, bien qu’en réalité, ils ne se rendent même pas compte de notre absence, avant son appel.
Savez-vous quelle sensation ça procure de se coucher en ayant été lavée dans une bonne ambiance, après avoir mangé dans la bonne humeur générale, puis de se coucher dans des draps propres, bercée par un baiser sur le front ? Je l'ai appris avec elle.

J'ai appris qu’il n’y avait pas besoin de cris pour se faire obéir. J’ai appris que je pouvais rire à gorge déployée sans me faire réprimander de faire trop de bruit. J'ai appris que manger avec les doigts ne mérite pas une claque. J’ai appris que vivre ne se résumait pas à se faire toucher là où on ne veut pas et à se faire battre sans raison.
J’ai tout simplement appris la définition du mot amour.
Grâce à elle.

Merci d’avoir rendu nos vies plus belles.
Merci d’avoir été une sœur extraordinaire.
Tu en as fait bien plus que tu ne le pouvais.
Crois-moi.

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Je t'en remercie d'avance 🥹🫶

Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant