Chapitre 37

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2024, Rodez, 27 ans,

— Chérie, tu viens ? m’interpelle Lucas en me prenant par la main.
Ses doigts glissent sur ma peau, me déclenchant un frisson. Nos regards se croisent et sans avoir à parler, nous continuons notre balade.
Cet homme est arrivé par hasard dans ma vie, quelques mois seulement après le décès de Célestin. Nous nous sommes parlés pendant près de deux mois, avant de nous voir pour la première fois. J’ai eu l’impression de le connaître depuis toujours, comme si nos âmes étaient liées d'une autre vie passée ensemble.
Il est l’inattendu que j’attendais.
Il est entré par hasard, dans une vie dont je n'étais pas fière et ce jour-là, quelque chose a changé. J’ai mieux respiré, j’ai moins détesté, j’ai admiré entièrement ce qui méritait de l’être.
Avant lui, je n'adhérais à rien.
J’ai ressenti cette fougue, celle qui est saine, celle qui ne nous fait pas chanter pour nous briser, celle qui est sincère dans toutes les situations, dans tous les angles.
Et bien qu’il n’y était pas obligé, il a pris le temps de réparer ce qu’il n’a jamais brisé.
Un pas après l’autre.
Essuyant mes larmes.
Les embrassants avec tendresse.
— Parle-moi de lui, m’a-t-il demandé.
Alors, j’ai partagé ma peine du manque de mon frère. Ayant du mal à respirer. Ayant du mal à avancer.
Puis un jour, un sourire s’est dessiné sur mon visage lorsque j’ai évoqué un souvenir. Ça ne m'était plus jamais arrivé depuis des années et Lucas était là pour écouter mon rire sortir de ma bouche.
Il a souri et m’a dit “tu vois, ton frère fera toujours partie de toi. Intégralement. Et je serai toujours là pour en apprendre plus sur lui, sur vous.”.
Je l’ai aimé encore plus.

Voilà bientôt sept ans qu'il comble mon cœur d’une sensation méconnue, d’une tempête de fleurs s'échouant sur ma peau. D’une mélodie aux paroles inédites qui parlent d’amour, me faisant tourner la tête chaque jour. Dansant ensemble dans une valse où nos cœurs se touchent, où nos corps s’emmêlent.
Chaque jour j'ai le choix entre mourir ou rester, et chaque jour je fais le choix de rester, parce qu'il y a des matins où je me réveille seulement parce que je sais qu’il est à mes côtés.
Il est mon âme sœur, j’en suis persuadée, parce que je ne me pose jamais la question de savoir s’il l’est.
Alors oui, c’est lui.
Aujourd'hui et à jamais.
Je cherchais le bonheur, et sans le vouloir, il en est devenu ma définition. Pourtant, je n’ai aucune idée du genre de vie qu'on aura, je sais simplement que je veux être avec lui.
On aurait pu me dire mille et une fois que je suis unique, pourtant, il n’y a que dans ses bras que je sens que je le suis vraiment.

Je vivrai l’éternité dans la lumière de mon époux, il sera mon compagnon, mon confident, mon complice, parce que son arme la plus redoutable n’est autre que la douceur. Parce que lorsqu’il me frappe de plein fouet, ce n’est qu’avec son amour, me renversant de baisers tendres, me fracassant de mots doux, me percutant de sa sincérité, enjolivant le tout de son rire qui a l’odeur de l’addiction.
Parce qu'il porte en lui une partie de ce qui me manquait.
Parce qu’il serait incapable de me frapper, même avec un bouquet de roses.

Je veux pouvoir te faire ton café tous les matins,
Te dévorer des yeux,
T’enlever tes vêtements.
Qu’on rigole comme des enfants.
Je veux mordre la vie avec toi.
Je veux tes nuits et ton réveil,
Ton odeur et ta peau.
Je te veux toi,
Pour une vie entière.
Jamais le temps à tes côtés ne me paraîtra assez long.

Ma guérison, mon espoir, ma force, ma foi.
C'est lui.

Je t’aime à en mourir, et plus encore, je t'aime à en vivre.

•••

Peut-être que la plus grande erreur que j'ai faite par le passé était de croire que l’amour consistait à trouver la bonne personne, alors qu’en réalité, il consiste à devenir la bonne personne. Celle avec qui on se voit passer le restant de notre vie, ne doit être que nous-même. Je ne dis pas que ça a été simple, je ne dis pas que je ne rechute pas dans les trous profonds que m’ont laissé ma famille, mais j’avance. Du moins, j’essaie. Grâce à lui, je pleure un peu moins, je ris un peu plus et je souris beaucoup plus.

Je l’ai souvent oublié, mais je mérite la vie. Je mérite une maison stable, je mérite qu’on m’aime véritablement, je mérite des bouquets de roses, je mérite des vacances à la plage, à regarder la mer durant des heures. Je mérite d'être heureuse.
Je n’ai jamais voulu tout ça.
Je n’ai jamais demandé à mes parents de ne plus m’aimer. De se défouler sur nous. De devenir leur thérapie.
Je n’ai jamais demandé à mon frère de trop m'aimer. Beaucoup trop. Un câlin aurait suffi.
Je n’ai jamais demandé à ce qu’on me retire de mon repère, m’enlevant à l'être le plus cher. Je n’ai pas non plus demandé qu'on me trimballe de foyers en familles d’accueil.
Et j’ai encore moins demandé à survivre à son décès.
Pourtant, je n'ai pas eu le choix.
Vivre ou mourir.
Je l’ai simplement fait.

Le plus fou dans tout ça, c’est que la seule raison pour laquelle je suis encore en vie aujourd'hui est que je ne voulais pas que mon frère soit seul. Qu’il reçoive cet appel qui le briserait. Qu’il doive m’enterrer à tout jamais.
Inconsciemment, il m’a sauvé.
Et il ne le saura jamais.

Mes traumatismes ne m’ont pas rendue plus forte. Ils ne m’ont pas endurcie. Ils ne m'ont été envoyés par aucun Dieu qui pensait que j'en avais les capacités. Mes traumatismes m’ont détruite. Mes traumatismes m’ont fait peur. Mes traumatismes m’ont changés et je ne suis pas sûre que ce soit pour le meilleur. Comment pourraient-ils ? Ils ont tué la petite fille ou en tout cas, ce qui faisait d’elle une petite fille. Je n’avais pas les épaules pour. Personne n’a les épaules pour. Mes traumatismes ne m’ont pas rendue plus forte. Ils font partie de moi et ce, même une fois reconstruits. “Il m’est arrivé ça”. Parce que mon traumatisme ne m’a pas rendue plus forte, mais il a tout bouleversé. Je dois tout réapprendre. À faire confiance, à aimer, à pleurer. À être heureuse, à accepter. Accepter que c’est arrivé et que c’est arrivé à moi. Mes traumatismes ne m’ont pas rendue plus forte, mais le monde n’en attend pas moins. Après avoir vécu ça, je devrais être capable de tout endurer. J’ai vécu pire, pourquoi m’effondrer pour ça ? Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que mes traumatismes ne donnent pas.
Ils prennent.

J’aimerais pouvoir chuchoter à l’oreille de toutes ces personnes qui souffrent de dépression que la vie ne s'arrête pas. Elle ne s’arrête pas, même après avoir été rouée de coups, violée durant des heures ou des années, ni même lorsque les gens ont utilisé leur langue aiguisée pour vous descendre au plus bas.
Je sais, ça fait mal, c’est indéniable.
Mais on est tous dotés de cette force intérieure pour se relever.
Soyez fiers de vous, pour la manière que vous avez de vous relever. Pour la manière dont vous avez géré cette période. Parce que ce sont des batailles silencieuses que vous avez menées jusqu’au moment où votre esprit a lâché.
Et c’est normal.
Mais vous êtes des guerriers qui arrivent toujours à se battre.
Alors, célébrez votre force.
Célébrez vos petites victoires, aussi infimes soient-elles.
Moi je serai fière de vous.
Ça ne sera jamais simple, mais c’est pour cette raison que la vie en vaut le coup.

•••

Aujourd'hui, je décide d'arrêter d’en vouloir aux personnes qui auraient pu nous aider.
Les établissements scolaires.
Les forces de l’ordre.
L'aide sociale à l'enfance.
Notre entourage.
Notre famille.
Ils ont fermé les yeux pour ne pas avoir à affronter nos regards de détresse. Pour ne pas voir les bleus sur nos corps. Pour ne pas s’infliger à eux-mêmes la douleur d’un combat bien trop compliqué.
Nous n'étions que des enfants et nous l’avons quand même fait.
Je souhaite simplement être fière de moi, de nous.
Je ne veux plus baisser les yeux, la tête. Je veux marcher droit devant moi, la tête haute, un sourire scotché à mon visage et croquer la vie à pleines dents.
Avec lui.

•••

Mon petit signe de la vie :
6 Avril - Naissance de Lucas - St Célestin

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Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant