Chapitre 18

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Comme à chaque fois que je m’installe dans un nouveau lieu, ma bouche se ferme, ne laissant que mes yeux s’exprimer. Ils voient tout, entendent tout, imaginent tout, à ma place. 

Au Clapas, comme l'appellent les éducateurs, nous sommes coupés du monde. Nos téléphones portables sont récupérés à l’entrée et nous n'y avons accès que les mercredis et samedis après-midi. De même pour le téléphone fixe que nous pouvons utiliser seulement le dimanche à heures fixes, durant dix minutes. 
Alors, je passe mes premières journées dans ma chambre, à tenter de faire passer le temps autrement, ne descendant au rez-de-chaussée que pour assouvir ma soif de tabac.

Bien que ma méfiance soit grandissante au fil des années, cette maison de campagne située en Aveyron, certes rustique, m’envoie des ondes positives. 
Je rencontre tout le groupe, composé de deux garçons et de quatre filles, dont moi. Il n’y a que trois éducateurs, en plus du directeur. Déjà, la sensation d'être en “famille” est présente, contrairement aux autres lieux de vie dans lesquels j’ai habité, qui me faisaient penser à une fourmilière géante, où je n'étais qu’un insecte parmi tant d’autres.

Lors de notre première entrevue, l’homme qui souhaite qu’on le surnomme Momo, m’a expliqué les règles de son établissement. Évidemment, pas de drogue ni d’alcool, ça paraît évident. Toutefois, la cigarette est autorisée. La plupart des jeunes ont tous plus ou moins commencé tôt, comme pour ma part où à seulement onze ans, je volais déjà les cigarettes de ma mère. 
— Je m’en doutais, m'a-t-elle sorti, alors que je venais d'être prise sur le fait. Puis, elle m’a tendu une clope pour que nous fumions ensemble. 
Quatre ans plus tard, je suis une adolescente de quinze ans, accro à la nicotine. 

Il m’indique également qu’aller en cours viendra de mon bon vouloir, toutefois, même si je ne récolte pas de bons résultats, il souhaite que je m'investisse à fond si j’y retourne. 
N'étant pas allée à l'école depuis quatre ans, la question ne se pose même pas. Je ne veux pas y retourner. 

Pour finir, il m’informe ne pas avoir lu mon dossier de l’aide sociale à l’enfance.
— Tout ce que j'apprendrai de toi, viendra de toi, m'a-t-il annoncé.
Bizarrement, j’ai souris. Ne pas juger sur ce qu'il y a sur le papier, mais sur ce qu'il a en face de lui. C’est tout ce que j’ai toujours voulu.

Effectivement, mes parents l’ont joué intelligemment. Lorsque mes absences au collège sont devenues fréquentes et qu’une assistante sociale s’est interposée entre nous, ils ont pris d’eux-mêmes la décision de faire appel aux services sociaux. De ce fait, la principale complication qui régnait dans cette maison était ma scolarité catastrophique. Le problème ? Moi et seulement moi. J’ai eu beau expliquer à Mme Viat ce qu’il se passait chez moi, elle ne m'écoutait que d'une oreille. Ma sœur et Célestin ayant une autre éducatrice que la mienne, bien plus à l’écoute, je me suis retrouvée coupable de tous les malheurs de mes géniteurs. 

Elle a toutefois été placée, ce qui a mis la puce à l’oreille à ma référente, mais elle a attendu que ce soit mon petit frère de neuf ans qui parle pour s’en inquiéter réellement, jusqu'à me placer officiellement, deux ans plus tard. À ce jour, Célestin vit toujours dans cette maison de l’horreur. Est-ce moi ou tout est normal ? 

••• 

2008, Nogent-sur-Marne, 11 ans, 

— Mademoiselle ! Mademoiselle ! Venez par ici s’il vous plaît, m’interpelle la directrice adjointe de l’établissement. 
Je m'arrête dans la foule d'élèves, comprenant qu’elle s’adresse à moi et me fige, attendant que le troupeau se disperse dans les couloirs.
Elle se dirige vers moi, d’un pas décidé avant de me sourire gentiment. Mon cœur bat la chamade. Je ne suis venue que deux jours cette semaine, après que mon père m’ait battu avec son jouet favori, me lacérant le dos et les bras. Pour finir, il a frappé de toutes ses forces sur ma cuisse, utilisant le manche en bois du martinet, me laissant un bleu violacé, qui déjà s’estompe sur ma peau encore hâlée de l’été. 

Aujourd'hui, j’ai pourtant décidé de venir en short et en petit gilet, me découvrant les bras lors de la récréation pour profiter des rayons du soleil de cette fin septembre. Mes amies m’ont regardé, s’interrogeant fortement sur ce qu’il m'était arrivé, mais je n’ai rien dit. 
Tu m’as demandé de me taire, mais avais-je le droit de montrer, papa ? 
Elles ont fini par en parler à leur professeur de SVT que nous avons en commun, qui elle-même a sonné l’alerte. 

Me voilà donc, entourée d’adultes dans cette salle qui me semble bien trop petite pour être si nombreux, à répondre à leurs questions délicates et indiscrètes. Mes parents ont été appelés à expliquer leurs actes, devant cette foule de professeurs ainsi que devant l’assistante sociale du collège, après que l’infirmière m’ait scruté le corps dans son cabinet, devant me mettre entièrement nue, pour qu’elle constate les stigmates qu’ils ont laissés sur moi.
Battue et humiliée… telle est ma vie.

Pourtant, ce soir, je rentre en compagnie de mes géniteurs jusqu'à la maison. Sans un mot. Leur silence fait pourtant du bruit. Il résonne en moi, plus fort qu’un coup dans l’abdomen. Inutile de vous dire qu’une fois la porte de la maison fermée, je me suis pris une avalanche de haine, finissant ma journée à même le carrelage froid du salon. Est-ce que toute ma vie j’aurai peur ? Est-ce que je suis destinée à subir les sévices de mes bourreaux jusqu'à ce que mort s’en suive ? Si la réponse est oui, alors je préfère encore en finir cette nuit, de mes propres mains. 

C’est comme ça qu'à seulement onze ans, j’ai tenté de me suicider pour la première fois.


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Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant