Chapitre 7

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- Tu comptes arrêter tes conneries avant qu'on ne puisse plus rien faire pour toi ? me réprimande Mme Viat, qui a dû faire le déplacement après m'être fait choper à la suite d'une énième fugue.
Je me suis sentie invincible le temps de quelques nuits, sans même qu'ils ne remarquent mes absences répétées. Qui est le plus à même de se faire engueuler ? L'éducateur qui n'a pas pris le soin de vérifier si je dormais bien ou la gamine qui souffre en silence ?
Il n'y a que mon regard qui lui répond. Espérant au fond de moi qu'elle comprenne ma détresse. Mais il n'en est rien.
- Ce weekend, je t'envoie passer deux jours dans un foyer, en plein centre de Paris. T'as intérêt à bien te comporter si tu souhaites un jour sortir d'ici. C'est ta dernière chance, Marie.
Je ne pensais pas qu'on pouvait être aussi aveugle, d'une chose pourtant si évidente.

•••

- On décolle Miss, t'as toutes tes affaires ? contrôle Yohann, son visage souriant dans l'entrebâillement de ma chambre.
Je hoche la tête, glissant la fermeture de mon sac jusqu'à ne plus voir de vêtements en sortir.
On emprunte une voiture de société qui appartient au lieu de vie, pour faire le voyage. Une bonne heure plus tard, la façade d'un immeuble, qui n'a rien à envier au couvent dans lequel je loge, se présente à moi. Haut de plusieurs étages, un grillage noir en guise de porte, nous nous immisçons dans l'enceinte du foyer "Jenner".

Je suis accueillie par différents jeunes, garçons comme filles. Enfin de la mixité ! Ils me font visiter les lieux rapidement. Ici, les groupes se composent en fonction de notre âge. J'atterris donc au cinquième, dans la chambre d'une fille qui est absente pour le weekend. Les locaux sont récents, colorés, vivants. Je m'y sens rapidement paisible, en confiance. Comme à mon habitude, ma réserve et mon esprit me guident à être dans l'observation. Pourtant, ma langue se délie, mon sourire n'est pas forcé, mon rire encore moins.
Les jours passent à une vitesse folle et je n'ai déjà qu'une envie : revenir.

Sur le chemin du retour, j'ai le sourire. Je remarque que, sans le vouloir, j'ai laissé un tee-shirt, certainement dans la chambre que j'occupais. Est-il possible que je l'ai fait exprès ?
- On m'a dit que ta sœur ainée est placée à dix minutes de ce foyer. T'étais au courant ? me demande Yohann, tout sourire.
Je fronce les sourcils d'incompréhension. Non, je ne le savais pas. Ma sœur, âgée de quatre ans de plus, est partie de la maison bien avant moi, nous laissant seuls avec eux, et ce, depuis mes huit ans. En cinq ans, il s'en est passé des choses. Ma déscolarisation, en premier lieu. Je ne suis pas allée en cours depuis le début de la sixième, alertant les services sociaux, et me faisant redoubler une seconde fois. Mais la fautive n'a jamais été personne d'autre que moi.

De plus, je n'ai jamais été suffisamment proche d'elle pour vouloir prendre de ses nouvelles. Même Gaëlle, qui ne vivait plus dans la maison depuis de nombreuses années, s'avérait être un soutien plus fort que celle qui habitait encore sous le même toit que moi. Son caractère de feu, souvent méchante et lunatique, pouvait passer d'un sourire, pour finir par nous faire pleurer mon frère et moi. Nous sommes pourtant considérés comme les "trois derniers". Les plus jeunes de cette famille recomposée et bancale. Nous portons exactement le même sang, elle, Célestin et moi. Nous sommes ceux qui avons regroupé les quatre premiers enfants de mon père, avec la fille unique de ma mère, pour ne faire qu'un. Et c'est comme ça que tout a commencé...

•••

2006, Nogent-sur-Marne, 9 ans,

- Ça fait trente ans que je côtoie les services sociaux. Un coup de chiffon et hop ! Ils n'y voient que du feu, plaisante ma mère.
Elle s'en vante, en plus...
Avant même ma naissance, les problèmes régnaient en maître dans cette maison obscure et dégueulasse. Mon frère aîné, le premier de la fratrie, s'amusait à entraîner son petit frère dans ses conneries. Il était vicieux, répugnant et pervers. Sa sœur par alliance est devenue son nouveau jouet, alors autant initier le second, pour plus d'animations.
Cinq ans avec sursis. C'est ce qu'il a pris pour avoir violé la fille de sa belle-mère durant des années, tandis que le plus jeune n'a eu qu'une mesure d'éloignement en étant placé, à seulement onze ans, chez nos grands-parents paternel, définitivement. On en parle de la justice française ? Aucun commentaire...
Nos parents n'ont pas porté plainte, l'hôpital l'a fait pour eux, après que ma sœur a fait un ulcère à l'estomac. Vous protégiez qui, si ce n'est vos propres petites personnes ?
L'histoire s'est répétée, quelques années plus tard, avec moi, lorsque nos grands-parents le renvoyaient parfois chez nos géniteurs, le temps d'un weekend.
Le jeu lui a plu, si je comprends bien...

Est-ce qu'ils ont été étonnés lorsque je leur ai annoncé qu'il me touchait ? Évidemment que non. À neuf ans, j'avais déjà plus de cran qu'eux, en dénonçant mon bourreau. Mais, dénoncer mon bourreau à mes autres bourreaux... ce n'était pas la meilleure solution, au vu de leur non réaction.
Pas de plainte. Pas de mots réconfortants. Du laxisme et des "tu passeras à autre chose".
Le côté positif d'avoir parlé est qu'il n'a plus jamais recommencé.
Son regard gentil a changé.
Ses yeux m'imploraient, à présent, de le pardonner.
Pardonner quoi au juste ? De m'avoir pris, lui aussi, mon âme d'enfant, mon innocence ? Comme si on en chiait pas assez entre ces murs, il a fallu qu'il me rajoute le poids de son corps, de ses jeux secrets et de ses pulsions sexuelles.
Pourtant, victime de ce jeune homme déjà majeur, je suis devenue la paria. Le regard de toute ma famille a changé. Pas seulement le sien. Pire encore lorsque j'ai porté plainte avec l'aide de mes éducateurs. J'étais celle qui dénonçait des choses. Des choses qu'il fallait garder secret. Des choses que tout le monde savait au fond d'eux.

Et vous ne faisiez rien.

Transparente.
Transparente.
Transparente.

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Je t'en remercie d'avance 🥹🫶

Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant