Chapitre 9

27 6 2
                                    

Pourquoi vouloir se faire du mal, quand des personnes vous donnent la possibilité d’avancer ? Et pourquoi pas ? Tester sa résistance à la douleur. Affronter ses peurs ou déclarer forfait. Être l'ombre de soi-même. Une bien belle expression pour une chose si horrible. Se regarder mourir à petit feu, sans pour autant vouloir s’en sortir. Comme une âme errante, attachée à un corps sans vie. C’est ce que je fais, depuis plusieurs mois.

Ici, il y a les forts et les faibles. À nous de choisir notre camp. En foyer, le pourcentage de faiblesse est bien plus élevé. Parce qu'on grandit sans le repère de nos parents, avec ces questionnements incessants : “qu’est-ce que j’ai fait de mal ?”, “suis-je responsable de ce qui m’arrive ?”, “ai-je été une si mauvaise enfant ?”. Pourtant, même après m'avoir battu pour se décharger de leur journée épuisante, je leur demandais pardon.
Pardon de quoi au juste ?
D’avoir trop pleuré sous leurs coups ?
D'être tombée à terre dès le premier coup de poing qui s’est étalé sur mon corps ?
D’avoir hurlé de douleur en leur demandant d'arrêter ?

En y repensant, un rictus se dessine sur mon visage. C’est d'un ridicule. Je me sens coupable d'être une victime. Ce sentiment ne me quitte jamais. Et plutôt que d'en parler, je préfère enfermer mes larmes dans ma cage thoracique, en les étouffant de fumée de cigarette, en les aspergeant de vodka pure, tout en m'enfonçant une lame de rasoir dans la chair de mon poignet. Joyeux anniversaire, Marie !
Comment j’en suis arrivée là ?
Lorsque la police a jugé bon de classer sans suite ma plainte contre lui, par manque de preuves.
Lorsque ma psychologue m’a fait des réflexions sur mes nombreuses absences répétées en cours, sans chercher à fouiller plus loin le véritable problème.
Lorsqu’on m’a suggéré qu’il serait temps que je retourne chez eux, un weekend sur deux, pour tenter de “créer un lien”.
— Ça te donnera l’occasion de revoir Célestin, m’a-t-elle dit, en souriant.
— Et l’occasion de le placer ailleurs que chez ces monstres, elle arrive quand ? ai-je rétorqué à Mme Viat.
L’occasion de faire ton boulot, connasse.

Je les déçois, je le sais. Ils avaient une attente de ma part. Marie, la petite poupée blonde, va obéir sans jamais rien dire. J'étais pourtant bien lancée. Ils m’ont inscrit dans un collège, en cinquième, bien que je n’ai pas le niveau. Je me suis impliquée et investie durant les premiers mois, mais mes notes ne dépassant jamais les dix sur vingt, j’ai lâché l’affaire. À quoi bon ? De toute manière, je ne suis destinée qu'à satisfaire les autres, sans me satisfaire moi-même.
Ils m’ont envoyé en famille d’accueil, en Normandie, durant les deux semaines de vacances de la Toussaint. Il faisait froid et gris. Un temps à rester enfermé dans sa chambre, à ne rien faire. C’est donc ce que j'ai fait. Du premier jour, jusqu'au dernier. Ne faisant qu'écouter de la musique sur mon MP3 et descendant au rez-de-chaussée seulement pour me restaurer et aller fumer à l’extérieur. Les journées ne sont passées que très lentement, mais quand on a l’envie de rien, seul notre lit nous convient pour une parfaite compagnie.

Alors, j’en suis réduite à faire mon sac pour le weekend de Noël. Je ne les ai pas revu depuis mi-janvier, après que mon père m’ait battu une énième fois, violemment. Il m’a attrapé les cheveux et m’a fait dévaler un étage entier, en me tirant par la tignasse. Quatorze marches pour être exact. Avant de me rouer de coup dans la cuisine. J'ai réussi à m'enfuir, par je ne sais quel moyen, retrouvant mon cocon. Mon corps ankylosé, je me suis écroulée sur le parquet de ma chambre, pleurant en silence.

Il était prévu que ma sœur, Kristell, vienne me chercher le lendemain pour aller vivre chez elle, par mesure d’éloignement, à la demande des services sociaux, le temps que Gaëlle puisse m’accueillir à son tour. Était-ce ta manière de me montrer que je serais toujours ta proie, papa ? Alors, je lui ai téléphoné depuis mon portable, toujours au sol, la voix enrouée, mes larmes séchées sur mon visage rouge.
— Est-ce qu'il était comme ça quand vous étiez petit ? lui ai-je demandé, le regard perdu, fixant mon plafond, constellé d’étoiles phosphorescentes.
— J’ai pas envie d’en parler Marie. Je serai là à neuf heures. Va te coucher.
Et elle a raccroché.
J’en ai déduit que oui. Pourquoi en faire un sujet tabou, même entre frères et sœurs ? Personne ne veut mettre le mot derrière “enfant”. Ça sonne si mal que ça “enfant battu” ? Pourtant, il est nécessaire afin de dénoncer ce cas.
Et si vous l’aviez fait avant de quitter le domicile, on n’en serait peut-être pas là.

•••

À peine ai-je le temps de fermer la porte d’entrée, mon sac sur l’épaule, que je me prends 50kg d’amour.
— Marie !!! hurle mon petit frère, de joie.
Je serre mes bras autour de lui, fermant les yeux un instant. Il est ma dose d’amour et de bonheur. Celui qui me manquait le plus depuis presque un an. On se recule, pour se contempler. Ses cheveux noirs ont poussé sur son front, pour faire la coupe à la mode. Merci Justin Bieber ! Il a grandi de plusieurs centimètres, me dépassant presque. Mais son regard gris/bleu, identique au mien, n’a pas changé.
— Tu m’as manqué Tinou, lui rappelé-je en le reprenant dans mes bras, pour cacher les larmes qui me montent aux yeux. Tu m’as tellement manqué, putain.

Si tu as aimé le chapitre, mets une 🌟
Je t'en remercie d'avance 🥹🫶

Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant