Chapitre 3

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Ça n’a rien de compliqué.
Rester dans son coin.
Fermer sa bouche.
Ne jamais réagir.
Puis, s’enfermer dans sa chambre quand ça se corse trop.
Être transparente.
Être transparente.
Être transparente.
Ça n’a rien de compliqué, mais ça n’empêche rien.

Je me réveille en sursaut, entre ces murs que je ne reconnais pas immédiatement. Je suis ici depuis moins de 24 heures, pourtant j’ai immédiatement senti le regard vicieux de certaines occupantes de l’immense maison. Treize jeunes filles qui ont déjà décidé que je serai leur prochaine proie.
Venant d’une famille de huit enfants, dont trois frères et quatre sœurs, je pensais tout connaître de la méchanceté qui pouvait régner dans une fratrie. Les pires traitements sont souvent réalisés par ceux qui te sourient par devant, pour te poignarder par derrière.
J’ai rarement vu mes géniteurs sourir. Ils n’avaient pas besoin de ça. Ils ont ça dans le sang. J’ai appris avec le temps qu’il suffisait d’afficher une expression de joie pour cacher tous nos défauts, toutes nos sources d’angoisses, de peurs. Alors, c’est ce que je fais, constamment. C’est ma plus belle arme, bien qu'elle ne soit pas aussi tranchante que les coups que j’ai pû recevoir.

Est-ce si grave d'être faible physiquement ? De mon mètre cinquante trois, avec mes cinquante kilos et ma blondeur qui se reflète  lorsque le soleil daigne sortir de son trou, sur mes longs cheveux châtains, je ressemble plus à une poupée qu'à une combattante de MMA. Mes iris d’un gris bleu, sur mon visage rond, n'arrangent pas l’effet que je veux me retirer. Je suis une poupée. La poupée de tout le monde.

Je me hisse hors des draps et cherche mes chaussons dans le noir abyssal de ma chambre. J'atteins rapidement l’interrupteur qui couvre la pièce d’une teinte orangée. Puis je me dirige vers le lavabo pour m’asperger d’eau froide, essayant de reprendre mes esprits. Je m’effondre. Telle une petite fille faite en porcelaine éméchée à force d’être trop tombée, libérant des larmes qui tentent désespérément d’apaiser ma peine, en vain. Je glisse le long du mur, finissant ma course sur le sol froid des carreaux de ciment. Mon poing frappe la pierre, m’empêchant d’hurler à la mort ce que j'ai en moi. Il frappe. Encore et encore. Toujours plus fort. Jusqu'à m’en faire saigner la paume de ma main. Jusqu'à ce que l’épuisement vienne me prendre dans ses bras, pour finir ma nuit dans ce coin de la pièce, telle une âme abandonnée. De la même manière que l'on m’a toujours traitée.

•••

— C’est pas si dramatique Marie. Elles veulent seulement s'amuser un peu.
Je ne relève pas. À quoi bon. J’ai bien saisi que je pouvais devenir le jouet de celui qui me voulait bien. Toutefois, je me retrouve sans produits hygiéniques, après m'être faite voler directement dans ma chambre. Elles sont entrées en groupe, tel un troupeau. Pas de brebis, oh ça non. Plutôt comme des lionnes. Tandis que plusieurs m’ont coincée sur mon lit, les autres ont mis ma chambre en désordre, s’emparant de tout ce qu’elles souhaitaient. De mes sous-vêtements, à mon unique shampooing. Je me suis retrouvée démunie de chacune de mes affaires, pour le peu que j'en avais. Seul mon téléphone a été sauvé, puisque je le tenais fermement dans mes mains, bien qu’il ne me serve pas à grand-chose, sans forfait renouvelé. Puis, avant de partir, la plus vicieuse m’a laissé un cadeau : sa main a claqué ma joue d’une force que je ne lui aurais pas crû capable. Abasourdie, je suis restée pantoise et les ai laissées partir avec mes biens, dans des ricanements de hyènes.

S’amuser. S’amuser à être la plus forte, certainement, car elles attendent de moi que je faiblisse de jour en jour. Alors qu’elles m’élèvent avec leur sarcasme et leur méchanceté. Je puise dans leur haine une énergie qu’elles n’imaginent même pas. Être forte. On m’a battue tant de fois, pensant me faire tomber, me cassant des côtes, me laissant pour morte des nuits entières. Et j’ai reçu les coups, sans broncher. Être forte. Il était impossible qu'il en soit autrement. Vivre ou mourir. Se forger une carapace impénétrable et anticiper les comportements de ceux qui m’entourent. Si quelqu'un daigne vouloir m’écouter, enfin.
Être forte.
Ne pas avoir le choix que d'être forte.

Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant