Chapitre 17

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Un cadavre, voilà ce qu'ils découvrent lorsqu'ils posent les yeux sur moi. J’ai perdu plus de dix huit kilos, n’en pesant plus que quarante sept. Mes cheveux sont ternes et bien plus fins qu'à la normale. Mes yeux sont cernés, trimballant mes bagages. Mon visage, creusé, leur informe de ma malnutrition qui dure depuis presque sept mois. Mon corps est faible, sous mes vêtements larges et puants. 

— Va prendre une douche, Marie. On parlera ensuite.

J’acquiesce. Qu’est-ce que je peux faire d'autre ? Je pars retrouver la pièce qui me sert de chambre, prends des affaires dans mon armoire et fonce dans la salle de bains, dans laquelle je m’enferme. J’appuie incessamment sur le bouton qui fait jaillir l’eau seulement pendant dix secondes et profite de la chaleur qui en sort. Se déposant sur ma peau pleine de crasse. 

Se laver. Une sensation qui paraît anodine, mais pas lorsqu’on ne l’a pas fait depuis plusieurs semaines. La senteur des savons vient m’agresser les narines, pourtant, j’en rajoute toujours plus. Frottant ma peau avec ferveur, à en devenir rouge écarlate. 

Me voir nue est encore une autre étape. Au fond de moi, je l’imaginais, mais je refusais de le voir. Je sentais évidemment qu'il se rapetissait, mais pas à ce point. Mes côtes sont saillantes. Ma peau est ravagée de coupures ci et là. C’est vraiment moi qui me suis fait ça ? Se laisser mourir à petit feu. Je suis en plein dedans. Et cette fois-ci, j’en suis la seule responsable.

Mon ventre crie famine depuis tellement longtemps que lorsqu’on me dépose une assiette devant moi, je n’ai qu’une seule envie : la dévorer. Pourtant, mis à part un morceau de fromage, je n’arrive à rien engloutir, me donnant immédiatement une sensation de nausée. 

— Tu vas rester cette fois ? me demande Aurélie, d’un calme inquiétant. 

— Possible, répond-je en triturant de la mie de pain.

— D’ici trois jours, il faudra que ta chambre soit entièrement vide. Une nouvelle arrive et toi, tu t’en vas. 
Ma gorge se serre. Est-ce une blague ? Pour aller où ? 
— Je suis virée, c’est ça ? demandé-je pour être sûre.
— Tu l’as cherché, non ?
J’ai seulement cherché à arrêter de souffrir.
— T’as trois jours, Marie. 
Puis elle se lève, me laissant seule dans cette grande pièce, avec pour seule compagnie, mon assiette pleine et mon cœur vide. 

•••

5 mars 2012, Paris, 15 ans, 

— Debout Marie. On part dans trente minutes. 

Je me réveille, dans un état second. La veille, en guise d’adieu, nous avons bu une bouteille de vodka à deux avec Cassandra, puis on s’est endormies dans mon lit, dans les bras l’une de l’autre. Je quitte les draps chauds pour aller prendre mon petit déjeuner, dans le silence le plus total. Je suis la seule à être levée à cette heure si matinale. Quelques minutes plus tard, je vois Cassandra qui me rejoint à table, les yeux encore à moitié fermés. 
— Je vais vous aider à descendre tes bagages, m’informe-t-elle. 

Après m'être habillée, je récupère les dernières affaires que j’avais laissées pour les utiliser le matin même. Un dernier coup de brosse avant de la glisser dans ma valise, que je ferme définitivement. 
Nous descendons jusqu'au parking, où une voiture de service nous attend. 
Après un dernier au revoir à ma meilleure amie, je monte en compagnie d’Aurélie pour un trajet d’une durée indéterminée, sans savoir où je vais ni pour combien de temps. 

Les heures défilent tandis que nous roulons encore. Nous faisons plusieurs pauses sur des aires d’autoroute, voyant le paysage changer autour de moi. La campagne se dessine vers l’horizon, le temps nuageux laisse place à un brouillard épais. Nous zigzaguons entre les montagnes, traversons des champs, passant devant des vaches, puis des brebis. L’air s’infiltre dans mes poumons lorsque je baisse la fenêtre de la voiture.

Ici, tout est calme et reposant. Pourtant, je n’ai qu’une envie : retourner à Paris. 
Lorsqu’enfin Aurélie arrête le moteur, nous sommes entourées de trois maisons distinctes, faites de pierres. Il n’y a rien d'autre aux alentours, à part de la verdure à perte de vue. 
Je sors du véhicule et pousse un cri en découvrant un homme de l’autre côté, à travers la vitre. Il se met à rire à gorge déployée.
— Bah alors petite, je t’ai fait peur ? me demande-t-il, me dévoilant ses dents du bonheur. 
Il est âgé, et ses cheveux blancs bouclés lui donnent un air d’homme heureux, tandis que son regard bleu inspire le respect. 
— Appelle-moi Momo ! Venez, suivez-moi, je vais vous présenter Catherine. Elle vous a préparé des bricks au chèvre, j'espère que vous aimez ça ! 
Nous le suivons, tandis que j’explore les environs. Nous montons quelques marches avant d'arriver dans une petite maison très sombre. Une magnifique femme élancée se présente et nous propose de nous installer pour manger. 
— Je vais vous laisser, je reviens d’ici trente minutes pour le café ! nous informe-t-il. Bon appétit à vous.
Je fixe Aurélie qui a l’air enchantée d'être ici, tandis que de mon côté, je sens que ma vie va radicalement changer. 


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