2009, Nogent sur Marne, 12 ans,
Le souffle coupé, à même le sol. Je me prends une décharge de haine pour m'être servie dans le frigidaire sans autorisation. Mes bras recouvrant ma tête, je ressens chaque coup de pieds dans mon abdomen. Puis, lorsque mes gémissements prennent fin, l’inquiétude vient se mêler à leur colère.
— Merde, arrête, tu vas la tuer ! hurle-t-elle tout en s'éloignant de moi.
Pourtant, il continue, puisant dans ses dernières ressources pour battre sa fille qui ne fait pas le poids face à lui.
— Arrête ! Je te dis d'arrêter ! continue-t-elle d’hurler, en le tirant vers elle.
Il la fixe de son regard bleu perçant et s’en va, sans dire un mot de plus.
Tandis que je ne bouge toujours pas, elle prend une grande inspiration.
— Allez, arrête ton cinéma et va te coucher.Ce soir-là, alors que j'avais refusé de descendre manger en leur compagnie, mon ventre criant famine, je me suis jetée sur un morceau de jambon. Ma mère me l’a arraché des mains avant de me gifler.
Je lui ai rendu son coup.
Pour la première fois.
Et pour la dernière.•••
Ça fait déjà quatre mois que je suis ici. Je navigue entre des cours de réintégration scolaire de neuf heures à midi, puis l’après-midi, les éducateurs nous font faire des activités : pâtisserie, macramé, dessins…
Les journées passent moins lentement, pour mon plus grand bonheur.
Les filles vont et viennent, de ce fait, je suis officiellement la plus ancienne du groupe.
Quelques mois auparavant, j’ai découvert le bonheur d’aller en famille d’accueil. Sarcastique, moi ? Jamais. Le temps que la plus sauvage des garces qui me harcèle ne soit placée ailleurs, suite à une énième altercation, devant les éducateurs cette fois. Je suis revenue trois semaines plus tard, trouvant de nouvelles têtes pour m’accueillir, bien plus chaleureuses qu’à l’accoutumée.Toutefois, ça ne m'empêche pas de ruminer. Entre insomnie et phase maniaque, je passe mes nuits à déplacer les meubles de ma chambre et à ranger celle-ci. Je trace des traits sur mes bouteilles d’hygiène. Je note chaque jour combien j’ai de serviettes dans mon paquet. Je vérifie le niveau de mon dentifrice et termine par trier, une fois de plus, le peu de vêtements qui se trouve dans mon armoire. Ainsi de suite. Encore et encore. Nuits après nuits.
Lorsque je n’ai pas cours, ni d’activités, je passe mes journées dehors, toujours en compagnie du groupe d’amies que je viens de former.
Puis, quand l’heure est au retrouvailles, j’attends patiemment sur un banc que le “téléphone rouge” sonne pour moi.
Une fois par semaine, le dimanche, les proches ont accès à ce numéro pour nous joindre. L’appel est court, d’une durée de dix minutes, avant de se couper de lui-même.
Il arrive que des filles pètent un câble à l'arrêt de celui-ci. D’autres lâchent toutes les larmes de leurs corps. Certaines programment leurs futures sorties, anticipées ou non…
Puis, il y a moi qui patiente tous les dimanches depuis plus de quatre mois.
Depuis plus de quatre mois.
Transparente.
Transparente.
Transparente.•••
— Alors, heureuse ? me demande-t-elle en me frictionnant les cheveux de sa main.
Je souris en la repoussant gentiment. J’allume une cigarette, profitant des rayons du soleil qui se pressent sur mon épiderme.
— Ouais, j’ai hâte ! dis-je en soufflant la fumée qui s’est accumulée dans ma gorge.
— Prépare-toi, elles arrivent dans dix minutes ! me rappelle-t-elle en se relevant.
Comment oublier ?
Mes sœurs aînées débarquent ici pour l’après-midi. Kris vit à Lille, avec son fils de six mois, tandis que Gaëlle n’est qu’à deux heures d’ici, mais entre le procès contre mon grand frère et l’interdiction d’approcher de mes géniteurs, je n’ai pas eu de contact avec ma famille depuis des mois. Ni même de Célestin. Inquiète ? À peine.
Mon petit frère, âgé de deux ans de moins que moi, est le dernier de la fratrie. Il est également le seul à ne pas être placé. Seul, avec eux. Comme une impression que ça ne dérange que moi.
Je les retrouve quelques minutes plus tard à l’entrée de la bâtisse. Un ancien couvent réaménagé, d'un charme inexplicable, mais qui renferme des histoires horribles. Je saute dans leurs bras. Putain, elles m'ont manqué.
Je leur fais visiter les lieux ainsi que ma chambre, mais j'écourte cet instant pour profiter de l'extérieur un maximum. Nous partons nous promener, m’amusant à pousser mon neveu dans son carrosse. Nous parcourons les rues de la ville, jusqu'à tomber sur le marché où elles en profitent pour m’acheter deux, trois nouveaux vêtements. La journée défile à une vitesse folle. Il est déjà l’heure de rentrer. L’heure d'arrêter de rêver.•••
C’est comme ça que j’en ai eu l’idée la première fois. Elles faisaient un bruit fou dans la pièce d’à côté, puis plus rien. Il était tard. Bien fait si vous vous êtes faites engueuler, ai-je pensé. Mais ce n'était pas le cas.
Au petit matin, des bruits sourds frappaient à mes carreaux. J’ai ouvert, découvrant un groupe de filles me poussant pour entrer dans ma chambre, en ricanant.
— Chut ! Putain, vous allez nous faire choper !
Je l'ai compris à ce moment-là.
Elles rentraient de fugue.
Et j’avais envie d’en faire de même.Si tu as aimé le chapitre, mets une 🌟
Je t'en remercie d'avance 🥹🫶
VOUS LISEZ
Merci pour les épines
Non-FictionÊtre l'ombre de soi-même. Une bien belle expression pour une chose si horrible. Se regarder mourir à petit feu, sans pour autant vouloir s'en sortir. Comme une âme errante, attachée à un corps sans vie. La monstruosité de l'Homme a essayé de faire t...