Chapitre 22

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J’ai appris avec le temps que les personnes les plus fortes sont celles qui prennent l’initiative de guérir des choses qui n'étaient pas de leur faute.

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Septembre 2012, Le Clapas, Aveyron, 15 ans,

Depuis dix minutes, je suis bloquée face à cette petite porte en bois, derrière laquelle se trouve Momo. Il m’est impossible de toquer tant le stress me ronge. Après avoir pris une énorme bouffée de courage, je m'élance et frappe pour indiquer ma présence. Quelques instants plus tard, ce petit homme aux cheveux bouclés me fait entrer chez lui, un tablier accroché à la taille, taché d’argile rouge. Nous traversons son salon afin qu’il me fasse découvrir sa dernière œuvre dans son atelier, installé dans une petite pièce.
Je scrute le buste représentant une femme, dont l’expression de tristesse est indéniable.
— Je réalise une série sur les émotions, m’indique-t-il.
Je constate donc que c'est très réussi !
— Tu voulais me parler ma fille ? me demande-t-il tout en retirant sa blouse.
— Oui, si tu as le temps, bien-sûr…
Il me sourit et fonce dans sa cuisine pour aller nous préparer des cafés. Je m’installe dans l'un des fauteuils de la pièce de vie, le remerciant pour la tasse chaude qu'il me tend.
Il me demande si tout se passe bien au collège, puisque les cours viennent tout juste de reprendre. Je lui indique que c'est assez compliqué, mais que je reste motivée pour avoir mon brevet.
— Et la réelle raison de ta venue ? me sourit-il.
Je me racle la gorge après avoir bu une nouvelle gorgée de ma boisson âcre.
— Eh bien, j’avais envie de te parler de moi. Étant donné que tu m’as signalé ne pas lire mon dossier, j’ai trouvé ça logique de te raconter ce qui m'amène chez toi, pour que tu puisses m’aider au mieux. Parce que j’ai besoin de ton aide, Momo.
Les larmes me montent immédiatement au coin des yeux. Il se redresse légèrement, faisant plisser le cuir du canapé, m’écoutant attentivement.

Alors, je lui raconte ce qu’a été ma vie, de mon enfance à aujourd'hui. Je lui montre les cicatrices que je me suis faite en me scrarifiant régulièrement les bras, n’ayant trouvé que ce moyen pour extérioriser mon mal-être. Puis, je lui parle de mon mois à Paris, pour qu'il comprenne l’intérêt de cette conversation, parce que je ne crois pas que les gens réalisent la force que ça me demande, d'être au plus bas mentalement, mais de quand même me lever tous les matins et de me battre contre moi-même.

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2007, Nogent-sur-Marne, 10 ans,

Ma sœur est rentrée hier soir de son internat où elle loge depuis presque trois ans. Il se situe à Lille, près de chez notre soeur Kristell, chez qui elle passe la plupart de ses weekend. Toutefois, les vacances ayant commencé, elle est de retour pour deux semaines seulement.
Ils sont actuellement en train de dîner, tandis que pour ma part, je n'ai pas voulu descendre, ne voulant pas voir mon père. Je préfère rester dans ma chambre à jouer sur mon ordinateur.

Une fois le repas terminé, tout le monde s’affaire à ses différentes activités. Je comprends rapidement que mon paternel vient de couper internet lorsque je n’y ai plus accès. J’entends tout le monde râler, tandis que je préfère aller me coucher bien que l’heure ne soit pas tardive. Cependant, ma sœur ouvre sa porte à la volée et descend jusque dans la chambre parentale, indiquant qu'elle ne peut pas travailler sur ses cours, ce qui est problématique. Il lui rit au nez, ce qui l’a fait sortir de ses gonds.

Les cris de ma sœur me font descendre à l'étage inférieur, voyant mon père qui s'acharne sur elle. Son arcade et son oreille sont en sang et je découvre avec effroi que ce sont les emplacements où se trouvaient ses piercings il y a encore quelques minutes. La bagarre dure bien trop longtemps, je décide donc de descendre au salon retrouver ma mère qui se fiche bien de ce qu'il se passe à l’étage.

Quelques instants plus tard, elle descend en trombe, la gueule rouée de coup, pleine de globules rouges et se dirige vers la porte d’entrée de la maison pour en sortir.
Mon géniteur tente de la rattraper, sachant pertinemment qu’elle se dirige vers le commissariat le plus proche, en vain.
Hors de lui et voyant que je lui fais face, il me jette les assiettes restées sur la table à manger, me les fracassant une à une sur mon dos courbée, me pliant en quatre pour éviter les projectiles qui viennent s'exploser sur mon corps, avant d’également prendre la tangente.

Je me relève, tremblante comme une feuille et pars m'enfermer dans le jardin, pour fumer une cigarette, essayant de me calmer. Je constate que j'ai des éraflures et que mon dos saigne par endroits, mais j’ai eu plus de peur que de mal.

Elle revient, quelques heures après, tandis qu’il n’est pas rentré, s'étant enfui en voiture. Les flics font le tour de la maison, pendant que l’un deux informe son collègue qu’il est déjà venu ici : “c’est la maison où ils battent leurs enfants, tout le monde la connaît à Nogent”, lui souffle-t-il, avant de remarquer que ma soeur le fixe attentivement.

Au même moment, mon père revient, s'étant calmé. Les forces de l’ordre lui font souffler dans un éthylotest et le test d’alcoolémie se révèle positif. Dépités, les policiers tentent de lui parler.
— Faites-vous un sport de combat monsieur ?
Il reste stoïque, répondant nonchalamment.
— Du sumo.
Les policiers se regardent avant de continuer.
— Le pratiquez-vous sur vos enfants ?
Il rigole, avant de répondre d’un ton condescendant :
— Ils ne comprennent que ça.

Il est resté deux jours au poste avant d'être relâché. Et l’enfer a continué.

•••

Au total, nous avons dû déposer, à nous trois, une vingtaine de plaintes, en l’espace de dix ans, menant mes parents à de simples avertissements, mais jamais plus.
À ce jour, bien que l’aide sociale à l'enfance y a fourré son nez, rien n’a été mis en place. Pas même une simple enquête.

Mes larmes coulent à flot, tandis que la conversation dure depuis une bonne heure.
— Où se trouve ton frère actuellement ?
Je m’essuie le visage à l’aide de ma manche, reprenant un air immédiat de colère et de haine.
— Mme Viat n’a pas jugé bon de le placer. Ça fait deux ans et demi qu’il est seul avec eux.
— Tu as peur ? me demande-t-il d’un ton grave.
Nos iris se rejoignent, laissant un silence planer.
— À chaque seconde.

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