Chapitre 12

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Les jours se ressemblent tous. Le froid s’étant bien installé dans Paris, mes éducateurs me demandent de rester au foyer, puisque je ne souhaite toujours pas aller en cours. Ils préfèrent sûrement ça, plutôt que de ne pas savoir où je me trouve. Toutefois, ce serait trop beau pour être vrai que de me laisser en paix. Tous les matins, je dois être au premier étage du foyer, dans le groupe des trois à sept ans, pour aider la femme de ménage. J’astique, je balaie, je désinfecte et nettoie, de neuf heures à dix sept heures. Youpi !
Et ça, durant un mois. Toutefois, je continue de rentrer chez mes parents un weekend sur deux, me laissant du repos pour profiter de mes amis et de mon frère.

Évidemment, une fois cette “punition” levée et le soleil à nouveau au rendez-vous, laissant le printemps s’installer, mes vieilles habitudes réapparaissent. Je passe mes journées sur Bastille, traînant dans les rues avec ce même groupe de potes qui ne font, eux-mêmes, rien de leurs journées.

La fin d’année scolaire pointe le bout de son nez. Sans trop comprendre comment, on m’informe que je passe en quatrième, bien que mes résultats soient égaux à zéro. Je reste persuadée qu’ils n’ont de toute manière plus d’espoir me concernant. Ayant eu pitié de moi. Pensant que ça me motiverait sûrement. Raté…

Je passe deux semaines chez mes parents, pour les vacances d’été, qui se résument à : drogue et alcool à outrance lors de soirées estivales. De minuit au lever du soleil, sur les bords de Marne. Je rencontre Romain, un jeune homme de dix huit ans, à qui je pense plaire, malgré nos quatre ans d’écart. Pourtant, il ne tente rien. Seuls nos yeux parlent. On se cherche. On rigole beaucoup. On s’attire comme des aimants.
— Youhouuuu ! crié-je, tournoyant sur moi-même, ma bouteille de vodka à la main.
— Arrête de faire la con, tu vas tomber ! m’interpelle Célestin, en me ramenant vers l’herbe, un peu plus loin. Tu me fais peur des fois, Marie.
— Oh, ça va ! Je m’amuse un peu, c’est tout.
Il ne répond pas. Je sais qu’il s'inquiète. Il me voit défaillir. Devenir comme eux. Il m’accompagne toujours lors de mes escapades. Non pas pour faire comme moi, mais pour me surveiller. Ne devrait-il pas être le contraire ?
Il ne me parle jamais de ce qui se passe en mon absence. Ont-ils changé au point de ne plus le frapper ? Ça m'étonnerait grandement. Mais mon frère est pudique. Il n’aime pas dévoiler sa vie et encore moins ses soucis. Pourtant, il a souvent été l’élément déclencheur de l'énervement de mes parents. Son hyperactivité ne le laissant pas tranquille, il peut s'énerver à en faire voler des objets, casser des portes, éclater des murs. Évidemment, son comportement peut faire exploser une bagarre entre mon père et lui, dont il n’arrive jamais gagnant. À côté de ça, avec moi, c’est un ange. Il a une âme dotée d’amour et pardonne tout le monde, peu importe la douleur qu’il a dû supporter.
— Ils ont besoin d’aide, Marie, m’a-t-il dit un jour.
— Ne joue pas au sauveur, Tinou. J’ai essayé, mais ça m’a bouffé et ils te feront la même chose.
— Ils changeront, j'en suis persuadé.
Vous entendez, il croyait en vous !

2003, Nogent-sur-Marne, 7 ans,

— Tu l’as mis où ? chuchoté-je à mon frère, cachés dans la cage d'escalier.
— Sous le tapis de l’entrée. Si elle fouille bien, elle va le trouver, ricane-t-il.
Désespérée, elle hurle dans toute la baraque à la recherche de son paquet de cigarettes. Déjà bien alcoolisée, alors que nous ne sommes rentrés de l'école seulement depuis une heure, elle se met à tanguer sur ses jambes. Notre père n'étant pas encore arrivé, nous profitons de son absence pour s'amuser un peu. Mais la marche en bois des escaliers vient de grincer sous le poids de mon frère. Nos regards se croisent puis la main de ma mère attrape le mollet de mon frère, lui faisant dévaler les quelques marches qui nous séparent de la cuisine. Je la suis en l’implorant de le lâcher, mais elle a déjà la petite tête de Célestin entre ses mains qu’elle martèle sur la pierre de la cheminée, avant de le lâcher, inconscient.
Je reste pétrifiée derrière elle, tandis que mes yeux sont obstrués par les larmes qui jaillissent sur mes joues.
— Vous l'avez foutu où ?! hurle-t-elle en me fixant de ses yeux marron.
— Sous le tapis. Il est sous le tapis, dis-je en tremblant de tous mes membres.
Tandis qu'elle court comme elle peut pour aller chercher son bien le plus précieux, mon corps entier refuse de bouger. Du sang dévale de son front, mais je n’ai pas le temps de me baisser qu’elle se plante devant moi.
— Déshabille-toi.
J'ai saisie sa phrase. Pourtant, il m’est impossible de l'exécuter. Elle m’attrape par le bras, tire une chaise sur laquelle elle s’assoit et réitère sa demande, tout en allumant une cigarette. Cette fois, j’obéis dans le silence, sans même pleurer. Tout en tapant sur ses cuisses, elle m’indique de m’y allonger à plat ventre, moi et mon corps nu. Ce que je fais, sans réaliser pourquoi. C’est lorsque je sens la brûlure sur ma fesse que je saisis. Ce paquet sera pour moi. Une à une, elle allume et écrase les cigarettes sur mon corps. La douleur est vive, pourtant aucune larme ne sort. Je suis comme déconnectée de mon corps. Comme lorsqu’il abusait de moi. J’entends le bruit distinct du briquet qui s’enclenche, du tabac qui grésille et de ma peau qui brûle. Encore et encore.
Puis, elle me relève enfin, tenant à peine sur mes jambes.
Elle sort une dernière cigarette de ce paquet, l’allume et me souffle la fumée au visage.
— Celle-là, elle est pour moi. Maintenant, dégage.
Je me tourne pour venir m’effondrer sur le corps de mon frère, qui ouvre un œil à ce même instant.

Il croyait en vous et vous l’avez brisé.

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Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant