Chapitre 23

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Je ne savais pas que l’humain pouvait être si convaincant.
Après notre longue conversation, Momo m’a promis qu'il tenterait tout pour que Célestin soit placé dans les mois qui viennent. Chose promise, chose due. Il n’a pas hésité une seule seconde à appeler notre référente de l’aide sociale à l’enfance pour lui rappeler son métier et ce pour quoi elle l’exerce. Alors, j'ai reçu un coup de fil quelques jours après, m’indiquant qu’une place l'attendait chaudement dans un lieu de vie en Lozère, à moins d’une heure du Clapas, d’ici fin Novembre.
Je pleure de joie en découvrant qu’il pourra également passer un weekend sur deux dans mon foyer, avec l’accord de Momo.
Ni une ni deux, nous sommes allés acheter un lit d’appoint pour l'installer dans ma chambre.
Je suis surexcitée à l’idée qu’il vienne.
Grandir avec mon petit frère, c’est mon rêve le plus cher.

En attendant que les deux mois s'écoulent avant son arrivée, je me concentre sur mes études. Catherine me fait réviser, parfois jusqu'à tard le soir. Je participe de plus en plus en cours, surtout en Français où ma professeur m'encourage tous les jours un peu plus. Je remarque que j’excelle principalement lors des exercices d’écriture, où je m'amuse à créer des histoires qui touchent aux larmes mon enseignante.
À ce même moment, fourni d’un carnet et d’un stylo, je note mes pensées et ma vie passée, pour m’aider à extérioriser mon mal-être.

Toutefois, à peine quelques jours avant la date officielle pour l’installer en Lozère, Mme Viat me contacte par téléphone, m’indiquant qu'elle a dû placer Célestin en urgence.
— Il s’est passé quelque chose ? demandé-je, surprise de sa rapidité.
— Je ne peux rien te dévoiler. Malheureusement, la seule place de libre que j'ai trouvée se situe en Bretagne.
Je m’effondre.
— Vous vous foutez de moi ?! crié-je dans le combiné.
Elle tente de s'expliquer avant de me signaler qu'étant donnée ma réaction, elle a finalement pris la bonne décision.
— Tu n’es pas une bonne personne pour lui, il est préférable que vous preniez vos distances.
Je raccroche avant même qu’elle ne continue son discours et qu’il ne m’atteigne bien trop.
Je cours jusqu'à chez Momo, qui tente désespérément de me calmer.
— Je suis désolée ma fille. Ne l'écoute pas, tu es extraordinaire.

•••

Immédiatement, je me renferme comme une huître, laissant place au silence les semaines qui suivent.
Les vacances scolaires m’obligent à rentrer sur Paris, me donnant l’occasion de voir Célestin qui est tout aussi silencieux que moi, sur ce qu’il ressent et vit là-bas.
Mme Viat l’a placé dans un lieu de vie similaire au mien. En pleine campagne, où les chevaux sont maîtres. Évidemment, nous connaissant, le calme des prairies ne peut lui faire que du bien, mais je reste persuadée que nous aurions pu être plus heureux l’un avec l’autre. Parce qu’il est ma moitié et je suis la sienne. Parce que lorsque l’un manque de souffle, le second lui donne de l’air. Parce qu’il n’y a que dans son regard que je me sens moi-même.

La semaine passe rapidement. J’ai vu le peu d’amis qu’il me reste, refusant les drogues qu’ils m’ont gentiment proposées lors de soirées.
Je rentre au Clapas, sans réelle motivation, que ce soit pour les cours ou pour la vie de tous les jours.

J’ai l’impression que quoi que je fasse, tout se résume à un échec violent et inévitable. À quoi suis-je censée me raccrocher ? À mes rêves ? En ai-je seulement ? Je n’en ai pas la moindre idée.
Alors, je tire sur ma clope, assise sur les escaliers en pierre qui mènent à la porte d’entrée de la maison, imaginant mon frère à mes côtés, une main sur mon épaule, en train de me chuchoter à l’oreille “ ne t’en fais pas, tout ira bien”. Tandis qu’une larme se met à couler sur ma joue, je rejette la fumée par mes orifices, qui se mélange doucement à la vapeur que le froid crée en ce mois de décembre.
Joyeux Noël, Tinou, pensé-je, nostalgique.

Il y a dix jours, j’ai fêté mes seize ans. Mes éducateurs m’ont proposé de rentrer chez mes parents pour les fêtes, mais j’ai refusé, ne souhaitant pas défier leurs regards ou leurs réflexions désobligeantes. Je reste donc ici, avec la plupart des jeunes ainsi que Catherine et Momo qui nous ont préparé un festin de rois !
Du saumon fumé, du sanglier, des bûches et des cadeaux sous le sapin. Nous grillons des marshmallows dans le feu de la cheminée, tentant de nous réchauffer un maximum dans cette maison faite de pierres. J’ai le droit à des livres, de jolis carnets et des stylos, qui rejoignent ma collection déjà grande. C’est déjà la seconde année où je passe Noël ailleurs que chez eux. Pourtant, je remarque que ça ne me manque pas.
Je suis ici chez moi.

•••

Jour de l’an 2003, Nogent-sur-Marne, 7 ans,

Hystérique et alcoolisée, du sang s’écoule sur son poignet, finissant sa course au sol. Énervée par un ami de mon père, elle est entrée dans une rage folle, s’emparant d'un couteau de cuisine, long et tranchant, avant de se tailler les veines devant tous les invités et ses enfants.
Je hurle de peur, tandis que mon père essaie de bloquer l’ouverture imposante qu’elle s’est créée.
Finissant à l’hôpital quelques instants après pour se faire recoudre sa folie et son égoïsme.

Bonne année maman et merci pour ce nouveau traumatisme.

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Je t'en remercie d'avance 🥹🫶

Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant