Chapitre 32

16 4 0
                                    

Est-ce qu'un jour je trouverai le temps d'être heureuse ? Car pour le moment, je me concentre sur le fait de rester forte.

Nous sommes dans l'attente depuis une semaine, tandis que Clément est rentré sur Rodez pour reprendre le travail. Je vadrouille entre les logements de mes sœurs et Nogent pour vider la maison. Effectivement, mes parents l'ont vendue le lundi qui a suivi son décès. C'était évidemment prévu depuis un moment et les acheteurs attendaient seulement la signature chez le notaire, chose faite. Alors, je fouille dans les tiroirs et les placards, récupérant des affaires et des photos appartenant à Célestin. En ce qui me concerne, je ne prends rien, laissant tout ce qui pourrait me faire penser à mon enfance, se faire enterrer dans cette baraque. Je trouve toutefois quelques peluches, jouets et vêtements qui lui appartiennent et qui me rappellent des réminiscences heureuses. Je prends également le doudou de mon frère qui n'est autre qu'une vieille taie d'oreiller verte à carreaux, en coupant une partie pour en faire un petit coussin, histoire de le voir partir avec le reste du tissu.
Nous préparons des lettres ainsi que des petits discours que nous partagerons le jour J, en racontant des fous rires, des cascades et autres souvenirs.

Sur les réseaux sociaux, je constate que son profil Facebook est inondé de messages d'amour et de condoléances, alors je prends le temps de répondre à tout le monde pour que ceux qui le souhaitent puissent venir lui dire au revoir à l'église.

Mais aujourd'hui, une énième épreuve m'attend.
En compagnie de Kristell et de ma mère, nous grimpons des escaliers en pierre menant à la morgue de Paris. Nous traversons des couloirs en compagnie d'une femme très douce qui nous explique, une fois s'être arrêtée devant une porte fermée, que dès qu'elle l'ouvrira, le visage de mon frère se trouvera sur notre droite.
Délicatement, elle baisse la poignée, laissant la lumière jaillir. J'avance, doucement, dans cette immense pièce lumineuse, qui dévoile derrière une vitre le corps sans vie de Célestin. Un drap le recouvre jusqu'au cou, laissant tout de même apparaître des traces de strangulation.
Et c'est à cet instant précis que je me rends compte que le déni était présent en moi depuis le premier jour, parce qu'encore maintenant, j'ai simplement l'impression qu'il dort paisiblement.
Je me prends un raz de marée d'émotions violentes, explosant mes barrières et noyant mon chagrin dans les rivières qui coulent sur mon visage.
J'ai mal.
Terriblement mal.
Pourtant, tous les soirs et jusqu'à la fin de ma vie, j'en viendrai à la même conclusion : il me manque, mais je ne peux rien y faire.

On nous parle souvent du moment déchirant de l'annonce, mais jamais de l'après. De tous ces moments où tu réalises que tu ne le verras plus jamais. Que le son de sa voix n'est déjà qu'un souvenir. Qu'il ne verra jamais le reste de ta vie, si un jour tu décides de te marier, de fonder une famille ou d'être un immense gérant de société. Et même sans savoir avec qui je ferai ma vie, j'avais déjà en tête mon arrivée à l'autel, accompagnée de mon frère qui serait aussi le parrain de mes enfants.
Tout ça n'arrivera jamais.
Et c'est dans cet endroit que je le réalise.
Que ma vie a changé à l'instant même où ma sœur m'a appelée.
Et cette nuit-là encore, il n'y avait que mes larmes pour m'enlacer, mes angoisses pour m'embrasser et mes échecs pour m'éveiller.
J'ai cette impression d'avoir échoué toutes les missions que l'on m'a données. La plus grande était de le sauver, avant de me sauver moi-même. Mais j'ai failli à cette ultime épreuve.
À la seule qui avait du sens.
- On s'en sortira, Tinou, à deux.
- À deux, avait-t-il répété, tandis que nos petits doigts s'étaient liés pour ne faire qu'un.
Une promesse que je n'ai pas tenue et que je ne tiendrai jamais.
Parce qu'il est trop tard.
Parce qu'il n'est plus.

Alors, je tente désespérément de comprendre tandis que je monte les étages de cette maison que je déteste, m'installant sur le palier de ma chambre pour découvrir l'endroit où il a été retrouvé. Immédiatement, mes larmes se mettent à couler, sentant sa présence tout autour de moi. Je me glisse sous la barre de traction et imagine simplement ses derniers instants, tout en fermant les yeux, embués de douleur.
Son dernier souffle.
Et je saisis, que de mon mètre cinquante trois, je touche largement les marches qui se trouvent sous moi. Je comprends que s'il a réussi son coup, c'est simplement parce qu'il le voulait du plus profond de lui, constatant qu'il pouvait se rattraper à n'importe quel moment. Mais il a laissé la faucheuse l'emporter, volant mon âme au passage.

Il n'est pas parti parce qu'il a cessé d'aimer, il est parti parce que plus il restait et moins il s'aimait.

Si tu as aimé le chapitre, mets une 🌟
Je t'en remercie d'avance 🥹🫶

Merci pour les épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant