40. L'amour

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Cinq jours.
Voilà le laps de temps qui s'était écoulé.

Celui durant lequel un nouveau mot s'était insinué en elle.
Un nouveau souffle.

La liberté. Même maintenant alors qu'elle était là, étendue sur cette couchette qu'elle n'aurait jamais dût revoir Désirée avait encore du mal à l'accepter. À le visualiser.
Ce n'était plus une lubie ou un mirage. Elle n'observait plus le monde tel un animal en cage, de l'intérieur. Elle était dedans.

Elle les ressentait. Elle revivait. Que ce soient ces rires suivant une blague graveleuse, les paroles échangées entre deux infirmières, le chuchotement des vagues contre la coque, les armes que l'on charge, l'odeur de la poudre à canon ou encore le chemin des courants d'airs, se baladant en toute liberté.

Elle n'était plus imperméable à tout cela. Pas totalement actrice bien sûre, mais au moins un témoin conscient.

La brune avait réfléchi.
Elle n'avait que ça à faire après tout. Ses journées se ressemblaient toutes, marquées par son mutisme constant, par cette décision qui avait été d'une simplicité aberrante à prendre.

Elle retrouvait encore son humanité, ses sentiments, ses émotions. Peu à peu, lentement. Et plus elle remuait sa cervelle, plus elle était perplexe.
Pourquoi donc n'était elle pas encore morte ? Pourquoi Edward Newgate faisait il preuve d'autant de faiblesse ? Cette situation n'aurait jamais dû arriver. Elle aurait dû finir comme Teach, la lumière quittant ses prunelles au son d'un craquement d'os.

Or l'infirmière était ici. Sur le Mobydick. Plus enchainée mais libre de tous ses mouvements. Dans cette cabine l'ayant abritée huit ans durant.

Cela dépassait toute logique. Mais presque étonnement, quand elle regardait son âme en miettes dont elle avait tant de mal à recoller les morceaux, elle ne voyait pas de regrets.
Elle était en vie. Et elle le resterait. La décision était tout à elle. Dépendait d'elle. De sa capacité à se reconstruire, à décider, à faire des choix, à être maitre d'une vie qu'elle ne pensait pas mériter.

Parce que cette envie de se reconstruire, cette volonté ; elle doutait de l'avoir.
La tentation était trop forte. Se laisser aller, voguer, ne plus réfléchir et disparaitre, mourant sur le pas d'une porte, oubliée de tous.

Car vivre, c'était difficile. Les derniers jours le lui avaient prouvés une fois de plus. Certes le capitaine lui avait pardonnée, l'avait libérée.
Mais ce n'était pas le cas des membres de ce navire. Et ils avaient raison. Eux au moins, suivaient la logique.

La femme de 35 ans les avaient trahis, elle avait abusé de leur confiance, les avaient trompés années après années. Lui en vouloir, ne pas l'aimer, souhaiter sa mort ; c'était normal. Elle-même avait désirée ardemment la faucheuse quelques jours durant. Or désormais elle réapprenait. S'enseignant seule les choses les plus évidentes.

Apprécier d'entendre son cœur battre dans sa poitrine. Admirer dans un coin solitaire du pont l'image du soleil se couchant sur la mer, à l'horizon infini.
Gouter à une cuisine bien relevée. S'endormir dans des draps sentant bon les fleurs, sur un matelas. Boire des gorgées d'eau fraiche. S'allonger au cours de l'après-midi, à ressentir ses mèches de cheveux lui battant le visage.

Les choses de la vie.
Simples.

Il y avait cependant d'autres variables que Désirée devait gérer. Très simples en vérité.

Les autres. Ceux à qui elle ne parlait pas, malgré tous leurs efforts, ceux qu'elle observait de ses pupilles brumeuses.
Ils étaient rares ceux qui souhaitaient communiquer avec elle, se comptant presque sur les dix doigts de la main.

Mon épée fleurieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant