Chapitre 19 - Une semaine avant l'incident

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// Anaïs

Cela faisait maintenant trois jours qu'un trou béant s'était ouvert dans ma poitrine et qu'il refusait de se fermer. Trois jours que je suffoquais, que je priais tous les Dieux de toutes les religions pour recevoir une bonne nouvelle. Non. En réalité, pour recevoir une nouvelle, tout simplement.

Je m'étais décidée à lui téléphoner, bien résolue à m'excuser pour les mots que j'avais prononcés la dernière fois qu'on s'était vus et qui avaient dépassé ma pensée. Je voulais mettre un terme à cette situation pesante qui régnait entre nous. Je désirais qu'il sache qu'au fond de moi, j'avais toujours de l'affection pour lui et sûrement bien plus en réalité. Le but avait été qu'à l'issue de cet échange téléphonique, nous puissions nous sentir un peu mieux, un peu plus en paix l'un par rapport à l'autre. Autant dire que c'était un échec total puisque ce que j'en avais entendu m'avait déchiré le cœur, les entrailles et certainement l'âme.

Je n'avais perçu que des sons saccadés par un manque évident de réseau, mais des bruits de lutte étaient distinguables ainsi que des cris. J'avais compris que tout ça n'avait rien de normal, rien d'un quelconque exercice de routine. Et pire, j'avais cru entendre Ben articuler le mot « désolé ». De la bile avait remonté de mon estomac tant l'ampleur de la gravité de ce qui se passait m'était apparue comme réelle. Ces derniers mots pour moi résonnaient comme un adieu, comme si c'étaient ses derniers mots tout court. C'était inadmissible, impossible à accepter, à entendre. Il ne pouvait pas me laisser comme ça, il ne pouvait pas m'abandonner définitivement, pas lui, pas de cette façon. Il était...

- Ma puce, comment tu te sens ?

Je tressaillis en sentant la main de Lyam se poser sur mon épaule. Je ne l'avais même pas entendu pénétrer dans mon appartement. Il disposait d'un double des clés et faisait des allers et retours depuis trois jours désormais, depuis le fameux coup de fil chaotique, depuis que je l'avais appelée à mon tour, en panique. Lyam avait directement contacté Malone qui avait téléphoné à Laure. Tout s'était passé très vite et personne n'avait eu plus d'informations depuis lors. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même depuis ces quelques jours, je ne me nourrissais plus et ne dormais que lorsque je m'effondrais de fatigue. Je ne pouvais pas risquer de rater la moindre nouvelle qui concernerait Ben.

- Je pense que je sais à quoi ressemble l'enfer, répondis-je d'une voix monocorde que je peinai à identifier comme étant la mienne.

Lyam s'installa à côté de moi sur le canapé et passa un bras autour de mes épaules.

- À quel point tu l'aimes ? me demanda-t-il.

Cette question eut le mérite de me faire sortir de ma léthargie. Je le fixai, perplexe, sans vraiment comprendre ce qu'il avait derrière la tête.

- Je ne connais rien de votre histoire, se justifia-t-il. Je veux juste savoir ce qui vous relie exactement.

Je n'avais jamais osé exprimer à haute voix ce que je ressentais vraiment pour lui et même dans mes pensées, je m'étais toujours retenue de le formuler correctement.

- Il est la personne que j'aime le plus au monde.

Le dire... c'était, waouh, c'était libérateur et triste à la fois. Tellement, tellement triste.

Les lèvres de Lyam s'entrouvrirent sous la stupéfaction et je décelai également une pointe de souffrance dans ses iris foncés. Mon meilleur ami avait ce besoin viscéral de se sentir aimé de façon inconditionnelle, était-ce le fait de passer à la seconde place qui le froissait ?

- Je n'imaginais pas que c'était aussi fort, admit-il.

Je secouai la tête en tirant une grimace nourrie par l'amertume.

- Comment tu aurais pu ? Je ne t'ai jamais rien dit.

Je ne savais d'ailleurs toujours pas si je regrettais ce choix. Dans un sens, je m'étais un peu sentie trahie en apprenant que Malone avait toujours été au courant de ce qui tramait entre Ben et moi alors que celui que j'aimais m'avait mille fois supplié de ne rien révéler. D'un autre côté, je savais que Lyam n'aurait pas supporté cette situation et se serait mis entre nous. Pour mon bien.

Bien ou mal, je ne voulais pas que ce que nous vivions s'arrête et je n'aurais pas supporté que mon meilleur ami s'en mêle, même avec les meilleures intentions du monde.

- Je n'étais pas aveugle pour autant, mais... je ne voulais pas voir.

Je fronçai les sourcils en réalisant qu'il me connaissait assez bien en effet que pour avoir été capable de lire entre les lignes durant toutes ces années et qu'il ne l'avait pas fait.

- Pourquoi ?

Il haussa les épaules et fixa un point invisible dans la pièce, la conscience déviant ailleurs.

- Je ne suis pas sûr, avoua-t-il. Peut-être parce que je savais que si ce que je redoutais était vrai, je ne pourrais pas m'empêcher de m'y opposer et que je risquerais de te perdre ?

Je laissai ma tête basculer sur le dos du canapé.

- Je ne t'ai rien dit pour la même raison.

Lyam déposa un bref baiser sur ma joue avant de caler son menton au-dessus de mon crâne.

- J'aurais été en colère, je crois, mais je pense que j'aurais fini par me raisonner et peut-être même apprécié Ben d'avoir aussi bon gout.

Je voulus sourire, mais ça m'était impossible. Mes lèvres frémirent juste légèrement.

- Je donnerais tout pour qu'on m'annonce qu'il va bien.

Lyam attrapa ma main et enroula ses doigts autour des miens.

- On le saura peut-être demain, m'informa-t-il. Laure et Kadie prennent l'avion ce soir pour Bamako.

Je me redressai vivement, un réflexe semblable à celui d'une décharge électrique.

- Et c'est maintenant que tu me le dis ?!

Mon meilleur ami fit les yeux ronds.

- Je voulais d'abord savoir comment toi, tu allais.

Je m'effondrai à nouveau dans le sofa.

- Parfois, tu prends ton rôle de BFF un peu trop à cœur, me plaignis-je.

Il pouffa avec douceur.

- C'est pour ça que tu m'aimes.

Je n'eus pas le temps de répondre, la porte de mon appartement s'ouvrit à la volée sur un Chris chargé de plats à emporter suivi d'Alicia.

- Les renforts sont arrivés, s'amusa Lyam.

Mon estomac gronda aussi fort qu'un volcan avant l'éruption et pour la première fois depuis des jours, je remarquai que j'avais faim.

Mes amis se servirent dans les placards et les tiroirs afin de dresser un semblant de table. Lyam alluma même une bougie parfumée pour chasser les odeurs de nourriture et connecta son téléphone à ma petite enceinte pour diffuser un bruit de fond aux notes calmes et légères.

J'étais tout à coup presque une inconnue dans cette nouvelle harmonie, dans l'écho de leurs rires et de leurs discussions, mais au moins, ce soir, je ne me sentirais pas seule. 

Cœur meurtri ('Nombreux')Où les histoires vivent. Découvrez maintenant