// Ben
M'immerger dans une piscine durant des heures était ce que j'avais vécu de mieux ces derniers mois. J'avais nagé jusqu'à m'écrouler de fatigue et puis j'avais dormi le reste de l'après-midi et de la nuit. Ces heures de sommeil avaient été bénéfiques, car elles seraient rares durant les jours suivants.
Je repensais au contact de l'eau sur ma peau encore et encore tandis que notre 4X4 fendait les terrains vagues du Mali. Le mauvais pressentiment que j'avais ressenti avant de quitter notre installation dans le village ne s'était pas estompé.
- J'espère que vous en avez bien profité, les mecs, retour à la fournaise et aux regards haineux ! clama JB en enfilant une paire de Ray-Ban.
Pourquoi il arborait un sourire éclatant en annonçant ça ? Aucune idée, ce type n'était pas toujours net.
- Alors Gilson, t'as conclu avec la petite hôtesse ? me taquina August.
Je soupirai en observant le paysage.
- On n'a pas arrêté, de vrais lapins, lançai-je avec ironie.
Il m'adressa une tape à l'arrière du crâne.
- Parfois, je me demande si tu n'es pas un peu con, se questionna-t-il, très sérieux.
Je m'esclaffai, amusé par la situation. Je savais que vu de l'extérieur, j'avais eu l'air d'un imbécile en refusant les avances de cette femme, mais je ne pouvais tout simplement pas lui dire oui. Avant de tourner définitivement la page entre Anaïs et moi, j'attendais que ce soit elle qui passe en premier à autre chose. Tant que je n'en avais pas la certitude, il était hors de question que je couche avec une autre, j'aurais l'impression de la tromper. C'était ridicule puisque nous n'étions plus ensemble, j'en étais bien conscient, mais je ne parvenais pas à me raisonner. Et pourtant, j'avais tourné le problème encore et encore dans ma tête.
- Laisse-le respirer, me défendit Nicolas, il n'a peut-être juste pas envie de baiser avec tout ce qui bouge.
Nous éclatâmes tous de rire sachant que Nico était le gars qui avait des rapports sexuels réguliers avec un de nos hommes juste parce qu'il n'était pas capable de tenir deux jours sans se la sortir du pantalon.
- Putain, tu te fous de ma gueule et moi je te défendais comme un con ! râla-t-il contre moi.
Même JB, notre chauffeur avait des difficultés à conduire droit tellement il riait.
- Excuse-moi, dis-je en posant une main sur mon ventre qui subissait les spasmes de mes rires, mais c'était tellement inattendu.
Nico grommela dans son coin pendant tout le reste du trajet alors que nous chantions comme des cons et faux en plus avec de très certainement mauvaises paroles sur des standards du rock.
Lorsque nous arrivâmes dans le village de notre mission, il faisait nuit et la fraicheur avait envahi les environs. Nous devions profiter de ce répit avant la chaleur écrasante qui nous attendrait demain. Mes boots s'enfoncèrent dans la terre humide près de la « maison » que nous partagions. C'était étrange, car d'ordinaire, le terrain n'était jamais gorgé d'eau à cet endroit.
- Où sont les gars en surveillance ? chuchota JB.
Nicolas secoua la tête et je vis à sa mine éclairée par un rai de lune qu'il n'était pas rassuré. Sa posture était même crispée, alerte. Je l'imitai d'instinct et attrapai mon arme dans une position prête à l'emploi.
August adopta la même gestuelle que moi et nous ne dîmes plus un mot, échangeant des signes de la main pour communiquer. Je devais rester là tandis que Nico partait d'un côté, August d'un autre et JB retournait chercher des armes supplémentaires dans notre véhicule.
Ce qui était particulièrement étrange, c'était qu'il n'y avait aucun bruit, pas même celui d'un insecte. En général, les nuits étaient calmes, mais là, c'était un silence inhabituel qui pesait sur les lieux. La chair de poule recouvrait mes bras, je détestais être dans l'expectative de la sorte. Il y avait quelque chose de terrifiant à être conscient qu'un évènement allait nous tomber dessus sans savoir ce que ça serait.
Mon portable se mit à vibrer dans la poche de mon pantalon de treillis et cela dû puiser dans les dernières réserves de batterie qu'il me restait. Cependant, il était hors de question que je baisse ma vigilance pour y répondre et j'étais même étonné de capter un peu de réseau ici alors que je n'en avais jamais eu. J'enfouis ma main dans la poche de mon pantalon afin de faire taire les vibrations en appuyant sur le bouton adéquat. En me remettant en position, je sentis une goutte glisser le long d'une de mes phalanges pour disparaitre près de la base de mon pouce. Le liquide me sembla chaud et épais.
Avec une appréhension alors jamais connue jusque-là, je relâchai mon arme pour passer mon index sur la trace humide. Mon estomac se broya quand je reconnus sous le clair de lune qu'il s'agissait d'un filet de sang. Une deuxième goutte tomba sur mon crâne et lorsque je relevai la tête, sur mon front. Je découvris alors avec horreur le cadavre sanguinolent à la bouche tordue de frayeur de Joris. Je reculai précipitamment, gauchement, en oubliant tous les réflexes pourtant acquis si durement à force d'entrainement. La nausée me retourna le bide et je savais que jamais je n'oublierais le visage horrifié de Joris. La bile laissait encore un gout âcre dans ma bouche quand je repris assez mes esprits pour bouger.
Je fonçai ensuite vers la voiture, le pas de course maladroit, afin de retrouver JB et de me tenir près des munitions. Alors que la silhouette de la voiture se dessinait devant moi, j'entendis plusieurs hurlements que je reconnus sans peine et je pressai le pas encore et encore pour arriver à temps, pour ne pas que nos ennemis s'emparent de nos cargaisons et s'en servent contre nous.
Une déflagration tonna soudain dans l'air et je n'eus même pas le temps de me mettre au sol, je fus soufflé par la chaleur et l'intensité de l'explosion qui se dégageaient de ce qui avait été mon objectif à atteindre. Le 4X4 était en feu. Une douleur fulgurante s'étala sur ma peau, collant à elle mes vêtements carbonisés et je retombai dans un bruit sourd sur la terre meuble. Je vis des étoiles partout autour de moi et mes oreilles bourdonnaient à m'en donner la nausée. Je souffrais, mais je ne pouvais pas rester là, alors je me mis à ramper, le sable grattant mes plaies et m'étouffant à chaque fois que mes lèvres rencontraient le sol. Dans ma course ralentie, ma main heurta un objet familier dont l'écran luisait dans la nuit. De mon seul œil valide, je reconnus le visage parfait et délicat de celle dont j'avais été fou et je commençais à me demander si je n'étais pas déjà mort, en réalité pour que ce soit elle qui m'appelle.
Si c'était la dernière chose que je pouvais faire, si j'étais encore vivant pour quelques instants, alors, il fallait que je lui parle, je devais essayer de me faire pardonner, je ne pouvais pas partir sans m'être excusé pour toutes les peines que je lui avais causées.
Mon doigt ensanglanté glissa plusieurs fois sur le curseur vert pour prendre l'appel avant de réussir à décrocher pour de bon.
Je n'entendis pas ce qu'elle dit, mais je tentai d'articuler ces quelques mots :
- Je... suis... désolé.
Je laissai ma tête chuter contre le sol, j'inspirai de la terre et du sable qui m'encrassèrent la gorge et m'étouffèrent. Je recrachai et toussotai, sans force.
- Gilson ! entendis-je hurler August comme si j'avais la tête sous l'eau.
Des bruits de lutte ne se firent entendre à côté de moi dont je distinguais les silhouettes qui s'entrechoquaient.
J'essayai de me relever, de rejoindre mon ami pour l'aider, faire quelque chose ou au moins tenter de me battre contre les fêlures de mon corps, mais un violent coup me percuta à la tête et enfin tout disparut autour de moi pour laisser la place à la plénitude du néant.
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Cœur meurtri ('Nombreux')
RomanceAnaïs, surnommée Mantis, se retrouve oscillant entre la vie et la mort. Le choix lui appartient de se battre pour rester en vie ou d'abandonner la partie. Mais pourquoi s'est-elle retrouvée inconsciente à l'hôpital ? Quels terribles choix l'ont amen...