Chapitre 33 - Un an avant l'incident

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// Ben

Voilà qu'un dimanche après-midi, je me retrouvais étendu sur le gazon du jardin de mon meilleur ami avec une gosse de deux ans affalée sur mon ventre, me martyrisant les cheveux et ne se gênant pas pour se servir de mon torse comme un tapis de jeu. Une odeur de burgers grillés embaumait cette plutôt chaude journée pour une fin de mois d'octobre. Les températures tournaient autour de dix-huit degrés et Malone avait donc décidé de profiter de la clémence du temps avant que l'automne décide de rattraper le temps perdu.

- C'est cool, tu peux enfin jouer avec quelqu'un qui a le même âge mental que toi, me charria ma sœur.

Je la fusillai du regard avant de décider qu'il était temps de faire rire un peu ma nièce, je fis alors mine de l'attaquer à l'instar d'un monstre gigantesque en comparaison de sa petite taille de bambin. Comme je m'y attendais, elle se roula dans tous les sens et se mit à crier en riant aux éclats.

J'aperçus Marly, enceinte jusqu'au cou, me regarder de la chaise dans laquelle était confortablement installée avec un sourire attendri fiché sur le visage.

Je n'aimais pas qu'elle m'observe de cette façon, qu'elle me voie comme un type qui pourrait être un père formidable si seulement il avait la chance de trouver sa moitié. Je l'avais trouvé ma moitié, mais c'était... compliqué.

Après l'enterrement de ma mère, tout avait été très difficile. Mon père n'étant plus dans le paysage depuis des années et ma tante s'avérant encore plus effondrée que nous, nous avions dû gérer seuls, ma sœur et moi, toutes les formalités. Sauf que la carrière de mannequin de ma frangine la forçait à s'absenter régulièrement, décalant très souvent les rendez-vous avec la banque, le notaire et toutes les administrations qui avaient tendance à se manifester dans ces moments dramatiques alors que vous n'en aviez jamais entendu parler. Il avait surtout été question de prendre des décisions concernant la maison familiale et pour le moment, c'était au point mort. Laure voulait que je la garde juste pour moi puisqu'elle avait déjà une grande demeure et moi, un tout petit appartement, mais moi, je ne pouvais pas simplement déposer mes affaires et m'attribuer cet espace dans lequel ma mère avait déprimé et dépéri pendant des années.

Avec tout ça, je n'avais pas remarqué tout de suite qu'Anaïs m'en voulait. J'avais été beaucoup trop occupé pour constater que ses « OK » et ses « si tu veux » n'étaient pas une façon gentille et compréhensive de me répondre, mais bien un « va te faire foutre, je te fais la gueule ». Bref, j'avais foiré, une fois de plus. Une petite discussion avec mon cousin Alek m'avait fait comprendre que ne pas l'inscrire sur la liste des proches pour le retour de deuil avait été une grosse connerie. En outre, avoir une Constance pendue à mon cou durant toute la journée n'avait sûrement pas aidé non plus. Mais si je devais être honnête, je n'avais rien remarqué de tout ça. Ça avait été la pire journée de ma vie et tout ce que j'avais voulu, c'était qu'elle passe le plus vite possible. Je m'étais noyé dans les condoléances d'une marée de gens que je ne connaissais pas et j'avais avancé dans un brouillard de sanglots durant la cérémonie et l'enterrement. Ce n'était qu'une fois que j'avais pu me poser sur une chaise et décapsuler une bière que j'avais eu l'impression que je pouvais redevenir un type normal qui n'était pas en train d'enterrer ma mère le jour même. Sauf que je me trompais, car très vite, des tas de gens avaient voulu venir m'en parler à coup de « comment tu te sens ? » et de « tu tiens le coup ? » et là, j'avais eu besoin de quelque chose de plus fort pour éteindre leurs voix. J'avais fini la soirée entouré de Malone et Aleksander et d'une bonne bouteille de Soplica, ce qui avait eu l'air d'amuser mon cousin l'espace d'un millième de seconde avant que son visage ne se referme à nouveau.

Ce jour-là, je n'avais eu besoin de personne à mes côtés, je voulais juste que tout disparaisse autour de moi. Quand j'avais voulu revoir Anaïs une semaine plus tard, elle avait répondu présente comme d'habitude, elle m'avait soutenu malgré tout et comme je me sentais bizarre et vide, je n'avais même pas relevé que l'amertume la dévorait. Nous n'avions pas couché ensemble, j'avais juste eu envie de la voir et d'être dans ses bras, de sentir son parfum et de me nourrir de sa présence. Nous nous étions revus quelques fois de la même façon, en silence ou devant un film que je ne suivais pas, j'avais eu besoin de son réconfort et elle me l'avait apporté sans rien demander en retour.

Cœur meurtri ('Nombreux')Où les histoires vivent. Découvrez maintenant